Un employé de Monoprix a été mis à pied pour avoir emporté des melons et des salades jetés.
La direction du Monoprix refuse de commenter le fond de l’affaire.
Photo M. Pantaleo
Il n’a toujours rien dit à sa femme et à ses six enfants. Depuis lundi, le jour du début de sa mise à pied à titre conservatoire, le petit homme de 59 ans au dos courbé continue à venir tôt le matin devant le Monoprix du bas de la Canebière. L’enseigne pour laquelle il travaille depuis huit ans. Sauf qu’il contourne le magasin, se pose dans le café d’en face, parfois sur le trottoir, et attend longuement. L’air triste. Que la journée se passe.
Avant de finalement rentrer chez lui, en début de soirée, comme s’il venait d’accomplir ses classiques huit heures de travail. « J’ai honte de ce qui m’arrive et je n’ai pas envie d’en parler à mon épouse. Si elle sait ça, elle va tomber dans les pommes », se justifie Kader d’une petite voix embarrassée, le regard dans les chaussures.
À la suite d’une première convocation de sa direction la semaine dernière, le réassortisseur – un job qui consiste à placer les produits en rayon – a donc été suspendu sur le champ. Il est désormais sous la menace d’être viré, sans indemnité, à deux ans de la retraite. Lui qui travaille sans discontinuer depuis l’âge de la majorité, « d’abord dans les raffineries, à Shell et à BP, avant d’être engagé à Monoprix, en 2003″.
» J’ai décidé de les rapporter. C’était juste pour les manger »
La faute reprochée à cet employé sans histoire, qui n’a pas, assure-t-il, « manqué un seul jour de travail en huit ans » ? Kader a eu le tort de prendre six melons et deux salades dans la benne à ordures de Monoprix. Des produits périmés et destinés à être balancés à la décharge. « Quand je suis passé devant la poubelle du magasin, regrette-t-il, j’ai vu ces fruits qui allaient être jetés. Je les ai trouvés en bon état. J’ai décidé de les rapporter pour la maison. C’était juste pour les manger ».
Seulement voilà, le règlement intérieur de la grande surface stipule qu’il est interdit de se servir dans les bennes.« Je ne savais pas, bredouille-t-il. « mais je n’ai pas volé. Jamais. Je n’aurais jamais pris quelque chose en rayon. Je l’ai dit au chef, si j’ai volé, qu’on appelle la police ! ». Mais à la place, s’étouffe la CGT, « voilà un homme qu’on met sous la menace d’un licenciement pour avoir pris des légumes dans une poubelle. Ça ne se passe pas dans une contrée moyenâgeuse, mais en France, en 2011, dans une entreprise dont l’actionnaire principal,Casino, vient de battre des records de profits au CAC 40″.
Syndicats et employés solidaires
Hier matin, le syndicat et des employés de Monoprix, furieux, s’étaient mobilisés pour soutenir Kader, convoqué par la direction pour un entretien préalable à licenciement. « Il s’est excusé et il les a suppliés de le garder », raconte Samie, la déléguée du personnel en sortant de la courte entrevue. « Eux, n’ont pas bronché. Ils donneront leur décision dans deux jours. Mais ça s’annonce mal« .
À ses côtés, une collègue de rayon se désole : « C’est minable de lui faire ça à lui. Monsieur Kader, c’est un homme à l’ancienne. Il est soumis à son travail, il regarde toujours par terre ». Et de cogner : « Si on n’avait pas des salaires au rabais, les gens ne se serviraient pas dans les poubelles… Mais peut-être qu’on lui reproche aussi autre chose. Quand les caissières ont mené une longue grève pour les salaires, en 2010, il a suivi le mouvement une matinée par solidarité. Ça a pu déplaire ».
Rémunéré moins de 1 100 euros par mois, Kader n’en est pas à revendiquer quoi que ce soit. « Regardez, je viens de faire un chèque de 3 000 euros pour payer à ma fille son école d’orthophonie », se lamente-t-il en tendant la facture. « J’ai deux autres enfants encore à charge. Dont un garçon de 22 ans en BTS. Si on me vire,je ne pourrais plus payer leur scolarité. S’ils font ça, c’est qu’ils ils n’ont pas de coeur ». Jointe par téléphone, la direction du groupe refuse de commenter le fond « d’une affaire interne qui concerne le salarié et notre entreprise », et affirme que, pour l’instant, « aucune décision n’a été prise sur la sanction ».
Laurent D’ANCONA
Marseille | Marseille : menacé de licenciement pour des fruits récupérés dans la poubelle | La Provence.