Le CSA invente la Ligne Maginot 2.0

Publié le 19 juin 2011 par Youssef Rahoui

Vous êtes sans doute au courant de la nouvelle : le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a invité les responsables de chaînes à ne plus nommer les médias sociaux de types Facebook ou Twitter. Elle a fait des gorges chaudes, jusqu'à l'étranger. Si le point de vue du CSA semble au premier abord censé, il est en fait absurde et peut-être même infondé.

Rappelons tout d'abord que parmi les différentes missions du CSA figure celle-ci :

Le CSA s'assure du respect par tous les opérateurs des lois et de la réglementation en vigueur et peut sanctionner ceux qui sont en infraction.

C'est donc parfaitement en ligne avec ses prérogatives que l'organisme a décidé au mois d'avril dernier que :

le renvoi des téléspectateurs ou des auditeurs à la page de l’émission sur les réseaux sociaux sans les citer présente un caractère informatif, alors que le renvoi vers ces pages en nommant les réseaux sociaux concernés revêt un caractère publicitaire qui contrevient aux dispositions de l’article 9 du décret du 27 mars 1992 prohibant la publicité clandestine.

L'argument avancé est donc un texte de loi sur la publicité clandestine. Allons-voir le dit article 9.

La publicité clandestine est interdite.
Pour l'application du présent décret, constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire.

Cela ne vous fait-il pas reculer de surprise ? Moi si. Je ne suis pas juriste, mais n'est-il pas évident que quand TF1 ou RTL disent "Retrouvez-nous sur notre page Facebook" ou "Suivez-nous sur Twitter", leur but n'est pas de faire de la publicité pour ces médias sociaux mais pour leurs supports respectifs ?

Certes, il s'agit là de marques qui sont la propriété de sociétés commerciales qui n'hésitent pas à les défendre. Cela dit, leurs produits sont nouveaux, ont crée un large usage et dominent leur marché. Aussi, outre le fait que ne pas nommer les marques pour désigner la chose conduit à des formulations ridiculement obscures et alambiquées, nous sommes ici très près du cas de la marque banalisée par son succès.

Abribus, alcootest, bateau-mouche, bikini, dictaphone, escalator, gomina, jacuzzi, motocyclette, rimmel, télécarte, velcro… : elles sont des dizaines à n'avoir pas seulement touché leur cible mais à l'avoir transpercée !

Or que dit la loi sur ces cas de marques utilisées comme nom ou verbe ? Écoutons l'article L714-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait :
a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ;
b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

Qui plus est, sur Internet, le cas n'est pas rare et se reproduira certainement tant ce domaine évolue vite, innove et se popularise. Par sa configuration même (effets de réseau, gratuité…), il crée des situations de monopole ou de quasi-monopole (winner takes all ou winner takes most). Avec la logique du CSA, les médias vont finir par devenir parfaitement inintelligibles du grand public, qui pourtant parlera Twitter et Facebook depuis longtemps !

Bref, cette initiative du CSA est ridicule et mal fondée juridiquement.