Nul doute que le vote du monde rural sera un des enjeux du scrutin présidentiel de l’année prochaine. Le PS a fourbi ses armes en travaillant sur un « bouclier rural » qui a été défendu récemment dans le cadre d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale alors que les députés UMP ruraux se regroupaient dans un groupe d’influence appelé « Droite rurale ».
Rappelons que l’élection présidentielle de 2007 s’est très largement jouée dans la capacité des deux principaux candidats à gagner l’électorat populaire, surreprésenté dans le monde rural. A ce jeu, le candidat Sarkozy a surclassé sa rivale puisque la candidate socialiste, qui a certes rattrapé quelques longueurs dans le vote ouvrier par rapport au désastreux résultat de Lionel Jospin an 2002, reste la candidate des villes quand Nicolas Sarkozy se faisait le champion du monde rural. En réalité, le vote socialiste suit un « gradient d’urbanité » : plus on est proche du centre des villes, plus le score Royal augmente. Loin de la « réalité médiatique », cette coalition sociale des bobos et des banlieues (pour faire très très court) est structurellement minoritaire, la fondation Terra Nova devrait se pencher avec plus de sérieux sur cette réalité. Le défi pour une gauche qui voudrait reprendre le pouvoir dans la durée est donc de reprendre pied, politiquement et culturellement, dans ce monde rural.
Pour ce faire, le « bouclier rural » aborde de front les deux chantiers prioritaires pour le monde rural mais aussi en réalité pour l’ensemble de nos concitoyens : la question de l’égalité, en particulier face aux services publics, et celle de l’emploi. A la première, le texte de la proposition de loi met intelligemment en avant le critère de la durée maximale du trajet entre chaque citoyen rural et les services essentiels. A la seconde, il répond équité en proposant des zones de développement économique rural favorisées par de nouveaux outils fiscaux, bancaires et réglementaires.
Cependant, la perspective doit être bien plus large qu’une série de mesures, aussi indispensables soient-elles. C’est la perception du monde rural par la gauche qu’il faut modifier, c’est la vision souvent méprisante et parfois empreinte de prolophobie des élites urbaines pour la ruralité qu’il faut changer. La gauche doit retrouver le sens de l’épaisseur géographique de la France car l’apparition d’un archipel métropolitain aspiré par le turbo-capitalisme, délaissant et rejetant l’arrière-pays rural est la conséquence géographique de la mondialisation néolibérale. Des élites intégrées d’un côté, des couches populaires de plus en plus écartées du cours du monde de l’autre, cette situation est inacceptable pour tout républicain conséquent.
Finalement, la défense du monde rural, dans cette dimension de la préservation de l’unité nationale et du maintien de l’égalité républicaine entre tous les citoyens, est une des modalités les plus pratiques du combat contre la globalisation.
Jean-Philippe Huelin, Shogoun, 12 mai 2011