Votre nouveau livre parle de la droitisation des sociétés occidentales. De quoi s’agit-il ?
Au départ, il y a un constat : malgré le contexte économique et social qui pourrait lui être favorable, la gauche ne gagne plus d’élections. Aujourd’hui, tout débat politique se résume à des prises de position des droites. La gauche est marginalisée, elle n’a plus de modèle à proposer et elle n’arrive pas à en inventer un autre. Nous avons essayé de comprendre ce phénomène.
Comment cette droitisation s’est-elle opérée ?
Ça commence à la fin des années 70 et au début des années 80 avec l’arrivée d’une droite néolibérale en Grande-Bretagne et aux États-Unis puis le phénomène s’est étendu à l’ensemble des sociétés occidentales. La droitisation, ce n’est pas une réanimation des droites du passé mais un phénomène nouveau lié à la peur du déclassement de l’occident qu’il soit américain et européen. Depuis trente ans, les droites ont imposé leur vision du monde, leur hégémonie culturelle qui se sont traduites par des victoires électorales. Elles ont imposé le néolibéralisme contre le keynésianisme de l’après-guerre, l’anticommunisme puis le choc des civilisations… Elles ont repris à la gauche sa capacité de contestation. Il n’y a qu’à voir ceux qu’on a appelés les nouveaux philosophes qui sont passés du droit-de-l’hommisme à Nicolas Sarkozy.
N’y a-t-il pas un paradoxe à parler de droitisation alors que la gauche arrive en tête des élections locales depuis 2007 et qu’elle est à la tête de nombreuses villes…
Mais l’enjeu idéologique dans les élections locales est inexistant ! Pour moi, il s’agit là d’une nouvelle forme de cohabitation. Depuis 2002, et l’organisation des législatives dans la foulée de la présidentielle, il n’y a plus de cohabitation possible au plus haut sommet de l’État. Inconsciemment les citoyens procèdent à un équilibrage en confiant les exécutifs locaux à la gauche qui jouent les infirmières pour panser les coups portés par le pouvoir national. Mais cette nouvelle forme de cohabitation est dangereuse pour la gauche.
Pourquoi ?
Parce qu’elle peut anesthésier ses ambitions pour reprendre le pouvoir national. La gauche se recroqueville sur les collectivités qui ne sont pas un contre-pouvoir et qui n’ont finalement qu’une emprise limitée sur la vie des gens. Certes elle n’a pas intérêt à délaisser ces collectivités qui donnent des places pour les siens. Mais je ne crois pas que ces élections locales posent des jalons idéologiques politiques sur lesquels on pourrait s’appuyer pour une victoire nationale. C’est totalement déconnecté.
Même analyse pour le conseil général du Jura qui a basculé à gauche en mars ?
Oui. D’ailleurs, on peut souligner la victoire fragile de la gauche qui est certes majoritaire en sièges mais minoritaire en voix avec un écart d’un millier de voix. Dans la perspective des futures élections territoriales en 2014, sur les sept cantons les plus petits du Jura susceptibles de disparaître, cinq sont tenus par la gauche, deux seulement par la droite. Si l’on analyse le résultat des cantonales, la droite reste majoritaire dans deux des trois circonscriptions du département : Lons et le haut Jura. On est loin d’un mouvement porteur.
Ce vote à gauche peut aussi témoigner d’une volonté de changement des électeurs…
Les gens n’attendent plus de la gauche qu’une alternance par rapport à la droite. Or l’alternance sans alternative ne sert pas à grand-chose. On ne sait pas en quoi une gestion de gauche est radicalement nouvelle. On a confié les clés du département à une majorité sans savoir très bien ce qu’elle va faire. C’est une critique que je fais à toute la gauche, dont nous sommes collectivement responsables. Avoir des élus locaux ne suffit pas à gagner une élection nationale. On l’a vu en 2007 pour la présidentielle. Si on n’a pas préparé idéologiquement le terrain, on n’en tire aucun bénéfice.
Vous-même avez été candidat PS dans le canton de Moirans-en-Montagne ?
Et j’en sais quelque chose : j’ai voulu faire une campagne idéologique notamment autour du thème du bouclier rural qui n’a pas pris.
Cela n’a pas été repris par le PS comme argument de campagne.
On a laissé chacun mener campagne comme il l’entendait, avec un programme mais sans un projet issu d’un travail collectif, qui aurait pu guider tout le monde.
Vous participez à l’organisation de la primaire socialiste dans le Jura…
Oui, je fais partie de l’équipe qui s’en occupe. J’étais, dès le départ, favorable aux primaires qui devaient initialement s’étendre sur plusieurs mois avec une désignation rapide des candidats. Cela aurait permis de faire émerger un inconnu comme Obama aux États-Unis par exemple. Au lieu de cela, on a vu une longue période de jeu de dupes où les candidats potentiels se testent par rapport aux sondeurs. Avec des primaires fixées au 9 octobre, la campagne de fond va durer trois semaines. Le système retenu ne favorise finalement que les personnalités établies, ce qui est au fond là encore un réflexe conservateur, un réflexe de droite.
Propos recueillis par Sandrine Chabert, publié dans le Progrès le 1er juin 2011