A lire la presse française, après ses revers électoraux des municipales du 30 mai dernier et du référendum de lundi 13 juin, Berlusconi serait proche de la sortie. Nous serions donc au terme d’un épisode politique qui a débuté en 1994 quand le magnat transalpin est devenu le Premier ministre new look d’une Italie engluée dans un affairisme qui finit de détruire la 1ère république italienne. Par abus de langage, certains parlent même de « fin du berlusconisme ». Rien n’est moins sûr tant Il Cavaliere sait, tel le phénix, renaitre de ses cendres. En sus, comme disait Auguste Comte, « on ne détruit que ce que l’on remplace » et l’on voit mal aujourd’hui l’alternative à la droitisation impulsée par Berlusconi.
La gauche italienne n'est pas en mesure de remplacer Berlusconi
Qu’y a-t-il en effet face au berlusconisme ? Une gauche divisée, sans stratégie ni stratège. Rappelons que la gauche italienne est représentée au Parlement italien par le Parti Démocrate (PD), ce dernier avatar du Parti communiste italien qui est hégémonique à gauche, et l’Italie des Valeurs (IDV) d’Antonio Di Pietro. Ce petit parti de centre-gauche s’est rapproché de la gauche plus radicale, absente du Parlement depuis 2008, incarnée par le parti Gauche, Ecologie et Liberté (SEL) où cohabitent communistes et écologistes. Or c’est cette gauche « marginale » qui a remporté les plus grandes victoires aux municipales – Luigi de Magistris (IDV) à Naples et Giuliano Pisapia (SEL) à Milan – et c’est elle qui est à l’origine du référendum victorieux contre l’immunité pénale du Premier ministre, pour l’interdiction du retour au nucléaire et contre la privatisation de l’eau, à l’occasion duquel elle a su s’appuyer sur les associations citoyennes et la « société civile ».
Le Parti Démocrate, sorte de gauche institutionnelle, tente bien de récupérer les récentes victoires électorales mais il pâtit d’une sérieuse défiance dans l’opinion. Ses chefs n’ont rien d’autre à proposer qu’une énième grande coalition électorale qui irait des communistes au centre-droit, comme en 1996 et en 2006. Or il manquerait à cet attelage la clé de voûte naguère incarnée par Romano Prodi, l’homme de la parenthèse au berlusconisme.
La droite italienne est encore majoritaire en Italie
Ce que la gauche italienne n’arrive pas à comprendre c’est la profonde marque (pas seulement publicitaire) que le berlusconisme, fondé sur l’égoïsme et l’hédonisme, a imprimé sur la vie politique. En vingt ans, il a imposé une droitisation qui va bien au-delà d’une simple victoire électorale. C’est pourquoi le berlusconisme pourrait bien survivre à Berlusconi. En effet, dans un contexte politique favorable à la gauche, un récent sondage sur les intentions de vote des Italiens publié dans « la Repubblica » accorde 39% à la majorité parlementaire (le Peuple des Libertés de Silvio Berlusconi et la Ligue du Nord d'Umberto Bossi), 13% au centre-droit (UDC et Fini) et 42.5% à la gauche. La droite est donc encore majoritaire en Italie…
Berlusconi affaibli, Fini provisoirement sur la touche, c’est Bossi, partenaire incontournable de la coalition parlementaire, qui organise donc une nouvelle contestation de l’intérieur à la politique gouvernementale en demandant le transfert symbolique de ministères de Rome vers la « Padanie » et une réforme fiscale qui, ici comme ailleurs, rimerait avec baisse d’impôt…pour les plus riches.
On retrouve ici la fameuse alliance de la conservation et de la contestation, fondement de la droitisation tel que nous l’avons envisagé avec mon complice Gaël Brustier. Et déjà pointe le bout du nez de Giulio Tremonti, ancien du PSI et principal artisan de cette droitisation. Ministre de l’économie de Berlusconi depuis 1994, il s’impose comme une solution de rechange en cas de chute de Berlusconi, voire en successeur officiel pour les élections générales de 2013 si Berlusconi tient jusque-là. Quand on sait que Tremonti pense pouvoir faire sortir l’Italie de la crise politique et économique en réformant l’impôt sur le revenu qui passerait de cinq tranches à trois, on comprend mieux comment fonctionne ce processus dextriste : cette droite-là est un tank qui ne connaît ni la pause, ni la marche arrière...
Jean-Philippe Huelin, Atlantico.fr, 21 juin 2011