Le 23 juin 1991, Ghislaine Marchal est assassinée dans sa luxueuse villa, sur les hauteurs de Mougins.
Le lendemain, les gendarmes trouvent son corps exsangue dans la cave de sa demeure et n’ont pas à chercher très longtemps pour avoir un suspect puisque la victime semble avoir eu l’énergie d’écrire sur le mur, avec son propre sang, le nom de son assassin : Omar Raddad.
Ce marocain de 29 ans est en France depuis six ans et travaille comme jardinier dans la propriété de Mme Marchal, ainsi que pour son amie et voisine Mme Pascal. La police découvre qu’il joue régulièrement et perd beaucoup d’argent, ce qui le poussait fréquemment à demander des avances à ses employeurs, dont Ghislaine Marchal. Elle pense avoir trouvé le mobile du meurtre, d’autant qu’un témoin affirme que le refus de Mme Marchal de continuer à lui avancer de l’argent avait généré une altercation verbale, quelques jours auparavant.
Raddad est rapidement appréhendé et placé en détention.
Il clame son innocence, mais les évidences sont contre lui et il n’arrive pas à trouver des témoins pour étayer son alibi au moment présumé du crime. De plus, la gendarmerie persuadée d’avoir trouvé le coupable, ne prend pas la peine d’enquêter plus avant. Enfin, le fait qu’il ne parle pas bien le français et ne soit donc pas vraiment en mesure de se défendre correctement ne joue pas en sa faveur.
Il est condamné à 18 ans de réclusion criminelle, et les efforts de son avocat, Maître Vergès, n’auront pas suffi à infléchir la décision du juge.
Pourtant, les zones d’ombres sont nombreuses dans cette affaire.
Quand a réellement été tuée Mme Marchal? Au départ, les experts fixèrent, dans leur rapport, la date du meurtre au 24 juin, une date à laquelle Omar Raddad avait un alibi en béton… Mais ils se rétractèrent, parlant de faute de frappe dans ledit rapport… Bizarre… Seule une contre-expertise aurait pu éclaircir définitivement ce point, mais elle fut rendue impossible par la décision de la famille de Ghislaine Marchal d’incinérer le corps de la sexagénaire, immédiatement après sa mort, et contrairement aux volontés de la victime…
Et même en fixant la date du crime au 23 juin, le doute subsiste. Certes, ce jour-là Raddad travaillait chez la voisine de Mme Marchal et était donc tout près du lieu du crime. Mais le seul créneau horaire où il aurait pu commettre le crime est pendant sa pause-déjeuner. Or l’accusé a affirmé être rentré chez lui, à plus d’une demie-heure de route de la villa.
Personne n’a pu étayer son alibi, mais depuis, il a été démontré que Raddad a appelé sa famille d’une cabine téléphonique située à proximité de son domicile. Matériellement, il n’aurait eu que quelques minutes pour assassiner sa patronne et faire disparaître les preuves compromettantes…
Et puis, il y a cette phrase écrites en lettres de sang : “OMAR M’A TUER”.
Pour l’accusation, elle constitue la preuve éclatante de sa culpabilité.
Pour la défense, elle est au contraire la preuve d’une machination : la cultivée Mme Marchal aurait-elle commis une faute de conjugaison aussi grossière? Surtout que cela lui faisait rajouter une lettre de plus à sa phrase, écrite avec son propre sang au prix d’un effort que l’on imagine conséquent… Et comment aurait-elle pu écrire aussi nettement alors que la pièce était plongée dans le noir?
Juste après la condamnation, un écrivain/essayiste français, Jean-Marie Rouart (transformé ici en Pierre-Emmanuel Vaugrenard et joué par Denis Podalydès) est révolté par ce qu’il considère comme un déni de justice et décide de mener sa propre contre-enquête. Il découvre que l’enquête a été bâclée, que de nombreux arguments de l’accusation peuvent être démontés. Vaugrenard/Rouart trouve d’autres suspects potentiels dans l’entourage de la victime, aux mobiles plus forts que celui du jardinier marocain, et découvre avec effarement que la justice ne s’est jamais intéressé à eux, trop occupée à accabler Raddad, coupable idéal…
Bref, il dénonce un procès inéquitable, et fustige les tentatives des représentants de l’accusation d’empêcher toute révision du jugement.
Grâce à ce livre (1), et aux efforts conjoints de ses avocats et de son comité de soutien, Omar Raddad finit par obtenir une grâce présidentielle partielle en 1998.
Il est libéré, mais pas innocenté. Aux yeux de la loi, il est toujours un criminel…
Depuis cette date, l’homme continue inlassablement à demander que son cas soit rejugé, pour que son innocence et son honneur soient rétablis. Jusqu’à présent, toutes ses demandes ont été rejetées (2).
C’est pourquoi Rachid Bouchareb (producteur) et Roschdy Zem (réalisateur) ont décidé de porter cette histoire à l’écran.
En choisissant d’adapter deux livres à décharge dans cette affaire, celui de Jean-Marie Rouart (1) et celui d’Omar Raddad lui-même (3), ils prennent ouvertement parti pour le condamné.
Une décision qui risque bien de leur valoir les attaques de tous ceux qui sont persuadés de la culpabilité du jardinier marocain (4)…
Cependant, il faut bien préciser que le film ne cherche pas à prouver de manière irréfutable l’innocence d’Omar Raddad. Il s’agit juste de montrer que les éléments le disculpant du meurtre sont aussi nombreux que ceux qui l’incriminent. En d’autres termes, qu’il y a un doute et que l’affaire doit être révisée.
Peut-être Omar Raddad est-il coupable de ce meurtre. Mais peut-être ne l’est-il pas. Dans ce cas, il a été injustement emprisonné et a vu sa vie brisée par le drame. Et il convient alors de le réhabiliter…
Le film se concentre sur le côté humain de cette tragédie, en s’appuyant sur la performance sensible de Sami Bouajila, qui s’est vraiment fondu dans la peau de son personnage. Il montre un homme plongé en pleine tourmente judiciaire et médiatique, bien dérisoire face au rouleau-compresseur de la justice. Un coupable idéal jeté en pâture aux renards des prétoires et aux meutes de journalistes…
On ne peut qu’éprouver une certaine empathie vis-à-vis de ce personnage jugé hâtivement, jeté en prison et séparé de sa femme, de ses parents, de ses enfants pendant plusieurs années pour un crime qu’il n’a probablement pas commis.
Mais Roschdy Zem se garde bien de tout sentimentalisme ou de misérabilisme déplacé. Il reste toujours à bonne distance de son protagoniste principal, se gardant bien de trop montrer ses convictions personnelles sur l’homme et sur l’affaire.
De toute façon, ce drame individuel lui sert surtout à aborder, de manière plus générale, le sort réservé à des milliers d’immigrés installés en France et stigmatisés de par leur origine ethnique, leur classe sociale souvent défavorisée – du fait d’une intégration compliquée – leurs spécificités culturelles. Il faut voir le juge affirmer, d’un ton condescendant, “Vous dites, Madame, que votre mari ne ferait pas de mal à une mouche, et pourtant, il égorge bien des moutons”, laissant bien entrevoir les relents de xénophobie qui ont pesé sur les délibérations du jury et qui continuent de se propager dans certaines régions de France…
Le cinéaste montre aussi qu’une des principales barrières de l’intégration est la difficulté à parler correctement le français. Il insiste sur cette différence de maîtrise de la langue en opposant le français approximatif, balbutié, de Raddad au style flamboyant de ses défenseurs, la plaidoirie virtuose de Jacques Vergès et la prose alambiquée de Vaugrenard/Rouart lors de son admission à l’Académie Française.
Et si, finalement, le seul tort d’Omar Raddad était de n’avoir pas pris la peine de mieux maîtriser le français au cours de ses six premières années passées sur le sol français ? S’il avait été jugé uniquement sur son incapacité à se faire comprendre?
Condamné par une phrase mal orthographiée, mal jugé pour une incapacité à se défendre dans la langue de Molière…
Alors, dans un français correct, nous nous joignons aux voix qui demandent la révision du procès initial. Si le doute subsiste sur des points-clés de l’affaire, si le principal suspect n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence, si l’enquête a été trop rapidement avortée, alors il nous semble essentiel que l’accusé ait une seconde chance, dans un procès équitable, où tous les indices seront réexaminés, ainsi que les nouveaux éléments, comme ces traces d’ADN masculin présentes sur la scène de crime et n’appartenant pas à Omar Raddad…
Et dans un français tout aussi correct – on l’espère – on conseille à nos lecteurs d’aller voir Omar m’a tuer, film poignant qui ouvre nos regards, nous révolte, nous interroge sur notre rapport à la différence…
(1) : “Omar : la construction d’un coupable” de Jean-Marie Rouart – éd. de Fallois
(2) : Le parquet de Grasse vient semble-t-il de demander l’analyse des échantillons d’ADN trouvés sur le lieu du crime, entrouvrant la porte à un nouveau procès.
(3) : “Pourquoi moi ?” d’Omar Raddad & Sylvie Lotiron – éd. Seuil
(4) : De nombreuses personnes s’appuient sur l’enquête du journaliste Guy Hugnet “Omar m’a tuer – Affaire Raddad, le vrai coupable” pour affirmer que Omar Raddad est coupable. Voir sur ce site les arguments proposés. Et voir ici pour une autre analyse, plus partisane de l’innocence du jardinier marocain.
_______________________________________________________________________________________________________________________________________
Omar m’a tuer
Omar m’a tuer
Réalisateur : Roschdy Zem
Avec : Sami Bouajila, Denis Podalydès, Maurice Bénichou, Salomé Stévenin, Nozha Khouadra, Ludovic Berthillot
Origine : France
Genre : Faites entrer (et sortir) l’accusé
Durée : 1h25
Date de sortie France : 22/06/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : L’Express