“Balada triste” d’Alex De La Iglesia

Publié le 27 juin 2011 par Boustoune

Voilà assurément l’un des films les plus fous de l’année…
Déjà parce qu’il est truffés de personnages qui ne vont pas très bien dans leur tête – fous d’amour, allumés de la gâchette, despotes cinglés…
Ensuite parce qu’il prend plusieurs virages narratifs audacieux et imprévisibles, et qu’il développe une atmosphère étrange, entremêlant les genres avec frénésie – mélo, comédie, romance, film de guerre, fantastique…-  et arborant une esthétique délibérément grotesque – outrancière et inquiétante.

Tout commence avec un duo/duel de clowns. Le clown blanc se fait martyriser par l’auguste, pour le plus grand plaisir des enfants. Et ils ont bien besoin de rire, les gamins, car dehors, la guerre civile fait rage…
Nous sommes dans l’Espagne de la fin des années 1930. Les nationalistes et les républicains s’affrontent violemment pour le contrôle du pays. Un groupe de militaires, partisans du front républicain, débarque dans le théâtre et mobilise tous les hommes en état de se battre. L’Auguste est enrôlé de force et réussit à survivre à l’assaut des partisans de Franco, en en trucidant deux bonnes douzaines, mais il est quand même capturé et condamné aux travaux forcés.

Il fait promettre à son fils, Javier, de faire perdurer le business familial en devenant clown à son tour… Mais en tant que clown blanc plutôt qu’en auguste, car il estime qu’en perdant aussi vite son innocence enfantine, le garçon ne peut plus faire rire les spectateurs. Il lui demande aussi de le venger.
Le gamin n’attend pas longtemps avant de satisfaire à cette dernière volonté. Il sème le trouble dans le camp de travail et blesse grièvement à l’oeil un redoutable général franquiste…

Ce début, tonitruant évoque autant les peinture de Goya, pour le mélange de noir et de couleurs, d’outrances et de classicisme, que les films de Carlos Saura (ses premières allégories antifranquistes ou Ay Carmela!, qui plongeait une troupe d’acteurs au coeur de la guerre civile, entre les factions rivales). Et on s’attend à ce que le film poursuive dans cette voie. Mais, hop, grosse ellipse…

… Nous sommes en 1973, au crépuscule du franquisme. Javier a tenu promesse. Il est devenu clown blanc – regard de chien battu et visage rond – et se fait engager dans un cirque à la périphérie de Madrid, dirigé d’une main de fer par l’auguste de la troupe, Sergio, un homme violent et colérique.
Javier tombe immédiatement amoureux de Natacha, la belle trapéziste. Manque de chance, cette dernière est justement la femme de Sergio. Celui-ci la bat régulièrement, passe ses nerfs sur elle, la violente même pendant leurs ébats amoureux, mais l’aime profondément et est excessivement jaloux…
Cette fois, on pense un peu à Trapèze, et au triangle amoureux Lancaster/Curtis/Lollobrigida, beaucoup à Larmes de clown de Victor Sjöström, avec Lon Chaney en clown blanc revanchard et énormément à Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning, pour son histoire d’amour fou entre personnages “monstrueux”.

Cette histoire constitue le coeur du film. On assiste à la rivalité grandissante des deux clowns, à leur lutte d’influence pour l’amour d’une même femme jusqu’à l’explosion de violence attendue.
Pauvre Natacha! Pas facile d’être partagée entre ces deux hommes aux tempéraments aussi radicalement opposés, mais très proches de par leur obsession amoureuse, assimilable à de la folie pure. Sergio, violent, grossier, ultra-possessif pourrait être catégorisé comme le “méchant” de l’histoire,  mais on découvre qu’il est capable de bonté, de tendresse, même, avec les enfants. Javier, lui, semble plus doux et inoffensif. Il respecte Natacha, cherche à la protéger, à l’extirper des griffes de Sergio. On le caractériserait volontiers comme le “gentil” de l’histoire. Mais il est toujours ce petit garçon à l’innocence trop tôt évanouie,  qui a appris à encaisser les coups et les humiliations et à les évacuer par la violence et la soif de vengeance… Et quand il a atteint le point limite, que la soupape se soulève, ça fait très mal…

Si cette opposition auguste/clown triste sert de fil rouge au récit, celui-ci prend néanmoins encore plusieurs autres virages narratifs surprenants. On n’en dira pas plus, pour ne pas gâcher le plaisir de nos lecteurs, mais chacun de ces épisodes mêle des références à des films espagnols (de Bunuel, de Saura, de Victor Erice…) et à des classiques américains (les vieux fantastiques du muet, comme Le Fantôme de l’opéra avec – encore – Lon Chaney, les Frankenstein version Boris Karloff…) jusqu’à une scène finale convoquant les ombres conjointes d’Alfred Hitchcock – on sait qu’Alex de la Iglesia l’idolâtre… – et de… King Kong…

Récompensé d’un Lion d’argent au dernier festival de Venise, Balada triste possède suffisamment de qualités pour satisfaire un large public, pour peu qu’il ne soit pas allergique au style bouillonnant du réalisateur espagnol.

Ses admirateurs de la première heure, fans de  Action Mutante, Mes chers voisins ou 800 balles, retrouveront avec plaisir son sens de l’action, de l’outrance et du spectacle déjanté. On pense notamment à la bataille inaugurale, où un auguste en tutu décime les forces franquistes à l’aide d’une simple machette,  ou à la “transformation” définitive de Javier en clown triste…

Les autres pourront apprécier au premier degré ce drame passionnel et se laisser bouleverser par le sort réservé aux personnages, victimes de leur propre folie destructrice.

Ou bien goûter l’allégorie politique sous-jacente et la critique des régimes totalitaires.
A l’instar des anciens films de Carlos Saura, le personnage féminin principal représente l’Espagne. Natacha est belle, pleine de vie et d’amour, pleine d’avenir, mais, sous l’emprise d’un homme dominateur, rigide et violent – Sergio, dont l’autoritarisme évoque celui de Franco – elle encaisse de nombreux coups. Et quand Javier, que l’on peut considérer comme l’antithèse de Sergio, entre dans la danse, elle se retrouve tiraillée entre les deux camps, victime du conflit dont elle est l’enjeu.
Le cinéaste renvoie dos à dos les deux idéologies – nationalisme et communisme – qui, exacerbées et mises entre les mains de fous dangereux, clowns grotesques, difformes er inquiétants, ne peut que conduire à la catastrophe.
Il montre aussi que l’autoritarisme, la violence et la soumission des individus au régime franquiste ont généré de profonds traumas au sein de la population et que les blessures ont mis du temps à se cicatriser…

Balada triste est un film fou donc. Mais aussi un film fort, tant thématiquement que formellement. Ou encore un film brillant, tant par son interprétation brillante (le trio formé par Carlos Areces, Antonio de la Torre et Carolina Bang est formidable) que par sa mise en scène (mouvements de caméras virtuoses et cadrages précis)…
C’est enfin un film triste qui nous laisse avec un goût de cendres dans la bouche et nous hante longtemps après la projection…
Un film à découvrir…

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Balada triste
Balada triste de trompeta

Réalisateur : Alex de la Iglesia
Avec : Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang, Sancho Gracia, Juan Luis Galiardo
Origine : Espagne
Genre : le cirque des horreurs
Durée : 1h47
Date de sortie France : 22/06/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Studio Ciné-live

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