Ca commence par un gros plan sur un escargot…
Oula oula oula… Qu’est ce que c’est que ce film? Pas un de ces documentaires animaliers chiants comme la pluie, non?
Mais non! L’escargot, c’est une façon de symboliser les deux véhicules qui, dans la scène suivante, font la course sur une route nationale peu chargée : une voiture électrique conduite par un couple de quinquagénaires pépères et une voiturette de golf transportant deux gros rustres…
Leur destination ? Le Croisic, dans les environs de Saint-Nazaire, au bord de l’Océan Atlantique, pour un week-end de détente printanier…
Dans cette petite ville côtière de la Loire-Atlantique, le cinéaste fait se croiser toute une galerie de personnages très différents les uns des autres, et venus sur place pour des raisons très différentes. Il y a un couple de prolétaires (Charles Schneider et Catherine Hosmalin) venu passer le week-end dans sa résidence secondaire – une minuscule cabane appelée “mes assedics” – un père (Dominique Pinon) et ses deux filles qui ont bien grandi et s’intéressent aux garçons, mais aussi une famille de campeurs dirigée par un patriarche autoritaire (François Morel), sorte de boy-scout vétéran, deux couples en pleine déliquescence (Jacques Gamblin & Stéphanie Pilonca, François Damiens et Maria De Meideros) et des étudiants aux beaux-arts… Plus un représentant en parapluies venu en catimini à un rendez-vous coquin, deux escrocs ayant décidé de se mettre au golf, un cortège funéraire comprenant une veuve et sa fille (Chantal Neuwirth & Marie Kremer), et deux punks amoureux…
Bref, comme on dit : un panel représentatif de la population, dont les comportements et les petits travers sont croqués avec le talent de caricaturiste que l’on connaît à Pascal Rabaté, lui qui, avant de faire du cinéma, fut un auteur de bédé réputé…
Il dissèque ici les aléas de la vie de couple, de la vie de famille, de la vie tout court, ainsi que le comportement du français moyen en vacances, avec ironie et tendresse…
Déjà, pour les vacances, il faut une petite ritournelle qui vous trotte dans la tête… Le cinéaste commence donc par cela :
“Les vacances au bord de la mer, c’est supeeeeer… Les vacances au bord de la mer c’est d’enfeeeeeer… Sur la plage tu peux t’mettre à oilpé… Tu peux regarder les filles à oilpééééé…”.
C’est ce que beugle sur scène un chanteur ringard du nom de Mike Brank face à une foule en délire venue assister à cette étape de sa “tournée mondiale” – en fait vingt gamins médusés ou pétrifiés d’ennui face à ce crooner excité et ses musiciens, dont un illuminé déguisé en escargot (on y revient!).
Pas très évolués, ces garçons, tout comme les paroles de leur chanson…
Pourtant, désolé pour les amateurs de dialogues ciselés, ce sont les seules vraies phrases prononcées dans Ni à vendre, ni à louer, le nouveau film de Pascal Rabaté. Tout le reste de l’oeuvre est en effet quasiment muette, à l’exception d’un où deux mots perdus dans des baragouins ou des onomatopées.
Oula oula oula… Qu’est ce que c’est que ce film? Pas de dialogues? C’est bizarre, non ?
Hé bien non, pas du tout…
L’absence de dialogues n’est absolument pas préjudiciable puisque le film s’appuie sur une mécanique comique éprouvée et parfaitement huilée, où les gags s’enchaînent et se télescopent.
On pense un peu à certains spectacles de la troupe de Jérôme Dechamps et Macha Makaïeff, comme Lapin Chasseur, par exemple. D’ailleurs, on retrouve certains acteurs de la bande, comme François Morel ou (Et même, en rapport avec le titre de la pièce précitée, un malheureux lapin qui finira à la casserole – ou presque…)
On pense aussi à Jacques Tati, évidemment… Ce mélange de gags visuels et sonores et de portraits savoureux de français moyens en congés évoque irrésistiblement les vacances d’un certain Monsieur Hulot, un peu plus loin, sur les plages de Saint-Nazaire…
Mais arrêtons tout de suite une comparaison qui pourrait s’avérer écrasante pour Pascal Rabaté.
De toute façon, Pascal Rabaté possède son propre univers, plus “cru” que celui de Jacques Tati.
Le réalisateur de Mon oncle n’aurait probablement pas fait évoluer ses personnages au milieu d’un camp de naturistes, ni raconté un 5 à 7 adultérin qui vire au jeu érotique façon 9 semaines 1/2. Et il n’aurait certainement pas raconté les déboires d’un coquin masochiste abandonné par sa maîtresse dominatrice, menotté au lit et avec un bouquet de roses planté entre les fesses…
Dans ces moments-là, le film se fait audacieux et lorgne plus vers l’humour grivois et provocateur des auteurs de Mammuth, Benoît Delépine et Gustave Kervern. D’ailleurs, on retrouve ce dernier dans le rôle d’un golfeur pickpocket…
Oula oula oula… Qu’est ce que c’est que ce film? Ca a l’air bien grivois, non?
Hé bien non, pas du tout…
C’est la tout le talent du cinéaste, qui, avec culot, réussit à allier poésie burlesque, humour noir, gags trashs et même quelques séquences très tendres…
Citons une partie de scrabble mémorable jouée par le couple de quinquagénaires où la transformation du mot “caresse” en “paresse” laisse entrevoir la passion déclinante du vieux couple usé par la routine et le poids des années…
Ou l’amour naissant pudiquement entre un homme et une femme partis à la recherche, lui de son cerf-volant, elle de son collier, enchevêtré dans ledit cerf-volant…
Ou encore le regard embué de Dominique Pinon contemplant un dessin d’enfant et réalisant que ses filles sont désormais des femmes…
Le cinéaste capte ces petits riens, ces petits moments de grâce, ces choses intimes, avec beaucoup de délicatesse et d’humanité, et la comédie burlesque se teinte peu à peu de mélancolie au fil des minutes, jusqu’à nous bouleverser, avec la détresse du personnage joué – remarquablement – par Chantal Neuwirth, face à une vieille photo de son mari tout juste décédé…
Oui, le scénario vire au noir, en même temps que le climat de la côte atlantique vire à la tempête. Le vent secoue les cabanons, et des bourrasques d’émotions viennent faire vaciller les sourires…
Le film se clôt sur des plans de maisons abandonnées, “à vendre” ou “à louer”. Parce qu’un autre vent mauvais a soufflé sur la région, celui de la mondialisation et de la crise économique, qui a réduit l’activité des chantiers navals de Saint-Nazaire et a occasionné conflits sociaux et périodes de chômage technique, avec un impact non-négligeable sur l’économie locale. L’auteur n’insiste pas sur cet aspect politique, qui est tout juste évoqué dans le journal lu par Dominique Pinon, mais il ancre son récit dans une réalité morose et un avenir incertain.
Ceci donne davantage de relief à tous les moments de vie croqués dans le film. Les personnages, finalement, nous ressemblent beaucoup. Eux aussi cherchent à s’évader d’un quotidien éprouvant, à s’alléger du poids d’une société étouffante. Chacun à sa manière, bien sur, mais la finalité reste la même. Il s’agit de profiter des petits plaisirs offerts par la vie pendant qu’il en est encore temps.
Les souvenirs de vacances, la solidarité familiale, la naissance d’une idylle ou les moments complices de la vie de couple, les apéros en plein air ou les veillées au coin du feu… Toutes ces petites choses sont des plaisirs simples, essentiels et n’ont pas de prix. Elles ne sont ni à vendre, ni à louer, comme l’indique le titre du film…
« Ni à vendre ni à louer”, c’est aussi le slogan qu’ont écrit les deux jeunes punks, sur le sol de leur “maison”… Une maison fictive, dessinée sur le sable d’une petite plage, à la manière des demeures dessinées à la craie dans le Dogville de Lars Von Trier. Une maison où ils ont élu domicile, lovés l’un contre l’autre et entouré de leurs deux chiens, pour y dormir à la belle étoile, avec leurs deux toutous.
Eux aussi sont semblables à des escargots. Ils voyagent avec leur maison sur le dos. Un simple sac de couchage…
Ils sont jeunes, ils sont libres, ils sont amoureux… Ca aussi, ça n’a pas de prix…
Oula oula oula… Qu’est-ce que c’est que ce film? Ca ressemble un peu à une oeuvre magnifique, ça, non?
Assurément…
On ira peut-être pas crier au chef d’oeuvre, parce que l’ensemble est peut-être un poil trop court et que certaines situations auraient pu être encore mieux exploitées, mais Ni à vendre, ni à louer est quand même une excellente surprise.
Et puis, un film qui nous fait rire, qui nous fait pleurer, voire qui nous fait pleurer de rire, c’est quand même suffisamment rare pour que l’on ne le défende pas dans ces colonnes…
”Les vacances à la mer, c’est supeeeeeeeeer! I love…”
Alors merci, Monsieur Rabaté, pour ce beau film plein d’humour, de poésie, d’émotion…
Et vous, chers lecteurs, ne faites pas vos escargots et dépêchez-vous d’aller découvrir ce petit bijou dans les salles obscures…
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Ni à vendre, ni à louer
Réalisateur : Pascal Rabaté
Avec : Jacques Gamblin, Maria de Medeiros, François Damiens, François Morel, Dominique Pinon
Origine : France
Genre : les vacances c’est supeeeer…
Durée : 1h17
Date de sortie France : 29/06/2011
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Le Monde