La Lettre du mort
Mes chers destinables,
j'aurais bien voulu me taire, mais il se trouve que je ne l'ai pas pu. Certains pour ne pas dire la majorité d'entre vous, pensent ou ont une petite idée néanmoins, de ce qu'est l'Enfer, Ô misérables ! Vous n'y saurez penser ! Vous croyez que l'Enfer est fait de châteaux de flammes ? où des prisonniers se font prendre artificiellement par derrière, par de petites fées luminescentes et tenants, volantes des torches vagabondes ? Vous croyez qu'avant les supplices il se passe bien des tortures ? et qu'ainsi, allant crechendo, un programme détaillant cela est présenté aux nouveaux venus ? dont il est exigé une signature, transmise aux hauteurs par de mignons petits chérubins, aussi vicelards que l'absence de vice ? Vous croyez que tout n'est que coups et graves écorchures ? brûlures et remuages de cellules mortes gorgées de plasma et de sang ? membres écartelés et introductions diverses ? Croyez-vous que cet endroit est le plus vastement sordide des bordels ? et que les actifs en jouissent tellement ! qu'ils bandent et mouillent ! mêlants aux cris de terreur l'écume, du voyage de leurs bielles ? comme le sel de la sueur peigne l'air des mines de charbon ? comme les bulles de la lame qui triomphent sans prestige sur la terre ?
J'habite ma maison. Confort modeste mais pas rudimentaire. Je me lève le matin, ou le soir, ou alors entre les deux. Je me couche pareillement. Mes dîners sont faits de choses simples, mais nutritives et non point nourrissantes. Mes sorties sont rares, mais j'apprécie toujours d'aller dehors quand j'y vais. Mes relations avec les autres sont bancales. Ceux que je cotoie sont des gens simples, ordinaires. Ils vivent par expérience et par matérialisme. En général leurs opinions ne sont pas constructives ; au mieux cela leur permet davantage d'expérience ou de matériel, et au pire ils y trouvent de la déception, vantant alors les mérites de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, martelant ces choses charmantes à eux-mêmes et aux autres, comme une comptable tokyoite, toujours ravie après avoir passé la cinquantième facture du matin.
Peu à peu, il me vint des sortes de visions, présentes mais intemporelles car éternelles. Imaginez une plaine, une plaine immense. Imaginez que cette plaine est ravissante, ensoleillée, fleurie, printanière. Chaque fleur, chaque arbre, chaque centimètre cube d'air est emplein d'une odeur paradisiaque. Imaginez des hommes, ils ne sont pas nombreux mais ils trouvent tous cela digne de l'enchantement. Des enfants naissent. Ils s'étonnent puis grandissent. D'autres enfants naissent, ils grandissent aussi, et progressivement ils apportent avec eux des idées pour s'amuser. L'air dans la plaine est euphorisant. Les adultes baisent et prennent en s'éprenant entre eux. On dénombre quelques milliers de cahutes. Les enfants rigolent, jouent à se chatouiller, à se poursuivre. Avec le temps les hommes s'étendent. Ils sont de plus en plus nombreux, et explorent la plaine de plus en plus. Mais un jour, un homme vit une chose étrange et lointaine. Il ne sut pas ce que c'était, mais cela attisa sa curiosité, car enfin si ce que les hommes vivaient était merveilleux, ce qu'ils pourraient vivre encore le serait autant voire peut être plus. La rumeur se propagea à travers la plaine. De partout les hommes voulaient savoir quelle était cette chose étrange. Et puis un beau matin, un homme sut et il se donna la mort. Les hommes qui étaient derrière lui se rapprochèrent, pour voir ce qu'il était arrivé. Puis, en voyant l'homme inanimé devant cette chose étrange et fixe, ils se mirent à fuir en courant. De nouveau, la rumeur se propagea que le mystère de leur quête pouvait tuer. Personne ne savait réellement ce qui pouvait tuer, mais plus personne n'osa explorer la plaine.
Les hommes vécurent alors dans l'inquiétude, et leur bonheur devint désormais à l'image de ce que plus personne n'osait découvrir.
Ils se mirent alors à vivoter connement au centre de la plaine, car le seul homme intelligent était mort depuis bien longtemps.