Notes sur la poésie : Yves Bonnefoy
(…) en poésie la question du plagiat ne se pose pas, cette notion n’y garde même aucun sens. Car la poésie, ce ne sont pas des significations que l’on chercherait à communiquer, agréablement, efficacement, quitte pour un auteur à emprunter à quelque autre telle métaphore ou image qui aiderait à y réussir. Et moins encore est-ce un montage de figures ou d’autres sortes d’évocations au sein d’un objet verbal dont ces significations seraient faites le matériau sans qu’ait été approfondi leur ancrage dans la conscience de soi ou dans l’inconscient.
La poésie, c’est de constater que beaucoup de ce qui est signification dans la parole ordinaire est empiégé par sa formulation conceptuelle, laquelle implique l’oubli du temps vécu et du caractère absolu des situations de hasard que toute personne a à vivre. Et d’entrée de jeu elle cherche donc à transgresser cette sorte de signifiance, s’ouvrant pour ce faire à des notations qui montent des profondeurs de la personne : ce qui est vivre l’écriture comme une poussée du dedans aussi continuelle qu’irrésistible, et assure au tour qu’elle prend dans le poème quelque chose d’irréductiblement singulier, encore qu’à être telle elle n’en sera que plus riche d’universel. Voudrait-il prendre à un autre que soi, un poète — un vrai poète en son acte de poésie — ne le pourrait donc pas, son emprunt se transformerait sur le champ en un signifiant de lui-même. Qui oserait parler de plagiat dans le cas d’ « emprunts » de Shakespeare ou de Baudelaire ?
Yves Bonnefoy, Ce qui alarma Paul Celan, Galilée, 2007, p. 20-22.
contribution de Tristan Hordé