Le constat est cinglant : Ťl’Europe court le risque de perdre l’avance et l’indépendance de sa puissance aérienneť. C’est Gérard Brachet, président de l’Académie de l’air et de l’espace qui l’affirme, en marge de nouveaux travaux que la commission Défense de ladite Académie vient de consacrer ŕ l’industrie européenne des avions de combat. Il s’agit de l’expression d’une grande inquiétude, qui n’est évidemment pas nouvelle, mais s’inscrit dans un contexte désormais dominé par une grand danger d’échec. L’Europe paie aujourd’hui le prix fort pour une erreur qui remonte ŕ 1985, année qui connut un été meurtrier, c’est-ŕ-dire le renoncement ŕ un programme unique d’avion de combat européen. Aucun compromis n’étant possible, la France se désolidarisa de ses partenaires et entreprit le développement du Rafale. Les autres pays choisirent la voie de l’Eurofighter tandis que la Sučde, qui croyait encore ŕ l’avenir de sa coűteuse neutralité, continuait de faire bande ŕ part, donnant naissance au Gripen.
Aujourd’hui, l’Europe présente la facture mais il est peut-ętre trop tard pour agir utilement. Rafale et Eurofighter/Typhoon cohabitent difficilement, au cœur d’un étonnant méli mélo singuličrement compliqué par les regroupements intervenus depuis lors. EADS est actionnaire de Dassault Aviation et a tout intéręt ŕ la bonne tenue du Rafale. Mais EADS, ŕ travers sa branche allemande, est aussi un acteur majeur de l’Eurofighter : la contradiction est patente mais plus personne ne s’en offusque, faute de solution pragmatique.
La vraie question, plus qu’un quart de sičcle aprčs la rupture de 1985, n’est plus lŕ. Il s’agit de préparer l’avenir, une tâche qui relčve de la quadrature du cercle. En principe, il est trop tôt pour donner un successeur aux avions de combat en cours de production, pas męme arrivés ŕ mi-vie. En revanche, les bureaux d’études risquent de tourner ŕ vide, voir de se déliter, en l’absence de programmes nouveaux ou de démonstrateurs technologiques. Et les UAV ne peuvent combler le vide. Il n’y a pas de budgets, la fin de la Guerre Froide et la récession ayant, de ce point de vue, profondément changé la donne. Certains pays ont néanmoins choisi de briser le cercle vicieux …et se sont associés aux Etats-Unis. Amis du Pentagone, et devenus partenaires de l’ambitieux Lockheed Martin F-35, alias Joint Strike Fighter, Royaume-Uni en tęte, ces francs tireurs ont tout simplement tourné le dos ŕ l’Europe, faisant d’incommensurables ravages. En agissant ainsi, Londres n’a étonné personne mais que dire des autres ? Et notamment de l’Italie ?
Dans le męme temps, toutes proportions gardées, la situation n’est pas meilleure aux Etats-Unis. Nous l’avons souligné récemment, Marion Blakey, directrice de l’Aerospace Industries Association of America, vient de souligner avec inquiétude que, pour la premičre fois en 100 ans, aucun avion de combat nouveau n’est actuellement en préparation. D’oů des risques considérables de perte de compétences alors que la Russie, la Chine, l’Inde, mčnent des opérations ambitieuses.
L’Académie présente une tentative de réflexion qui pourrait permettre d’éviter le pire. Elle rappelle tout d’abord la nécessité de l’expression d’un besoin opérationnel commun, de la part de futurs partenaires, et cela en tenant compte d’entrée des capacités industrielles en lice. Parallčlement, des actions urgentes devraient ętre prises pour préserver l’industrie électronique de Défense, sur laquelle repose la responsabilité de systčmes d’armes compétitifs. Suivrait une politique de démonstrateurs et la mise en place d’une structure intégrée réunissant un nombre limité de coopérants, rejoints en un deuxičme temps par d’autres associés. Un scénario qui a le mérite de la simplicité. Reste ŕ trouver les moyens de tenter de passer de la théorie ŕ la réalité, d’aller au-delŕ de la simple analyse pour enfin agir. A moins que le temps de soit arręté en aoűt 1985 ?
Pierre Sparaco - AeroMorning
Le texte de cette étude sera prochainement disponible sur le site academie-air-espace.org