J’aurais oublié de parler d’une loi parmi les milliers de lois qu’a promulguées Georges Pompidou pendant ses presque cinq ans de Présidence ou qu’il a signées pendant ses six ans de
Matignon. Alors, parlons-en…
Depuis trois à quatre années au moins, un certain nombre d’internautes ont trouvé ce qu’ils croient être une pépite, enfin, une sorte de
Graal négatif, la raison de tous nos soucis. Et particulièrement, la raison de l’existence d’un grand déficit et d’une dette publique monstrueuse qui se monte à près de 1 700 milliards
d’euros, soit plus de 25 000 euros par Français, bébés compris ! La charge de la dette est le deuxième poste budgétaire.
Et le problème, c’est que cette dette ne finance pas des investissements pour l’avenir qui pourraient être profitables à long terme mais
simplement les frais de fonctionnement de l’État. Par conséquent, au contraire du grand emprunt de 2009 (35 milliards d’euros vont être investis de 2011 à 2013 dans des projets d’avenir,
recherche, innovation, formation professionnelle), les déficits chaque année sont la caractéristique plus d’une mauvaise gestion budgétaire que d’un pari sur le futur.
Une aubaine de campagne
Jamais les derniers à reprendre à leur compte la démagogie ambiante, certains futurs candidats à l’élection présidentielle de
2012 cherchent à se différencier en portant ce Graal négatif sur la place publique, comme s’ils venaient enfin de découvrir les fondements de la finance internationale (soit dit en passant, les
marchés financiers, ce sont aussi les petits porteurs de livret d'épargne).
En particulier, Marine
Le Pen (très à la pointe pour repêcher toutes les sauces d’Internet, elle en a parlé dès le 3 décembre 2010 sur BFM), Jean-Luc
Mélenchon qui a pourtant voté oui à Maastricht, Nicolas Dupont-Aignan dont le médiocre suivisme actuel pourrait beaucoup décevoir ceux qui avaient cru en son dynamisme et son talent,
et plus anecdotiquement, Jacques Cheminade, qui fut déjà candidat en 1995 (HEC, ENA, et secrétaire général du Parti ouvrier européen devenu Solidarité et progrès, branche européenne d’un
mouvement considéré par certains comme
sectaire et proche des milieux d’extrême droite américaine).
La réforme de 1973
De quoi s’agit-il ? De la loi n°73-7 du 3 janvier 1973 qui réforme le statut de la Banque de France.
Il faut replacer dans le contexte historique : le dollar ne peut plus être convertible en or depuis la décision unilatérale du
Président américain Richard Nixon le 15 août 1971. Après une période de deux ans où les taux entre les monnaies de dix pays (USA, CEE, Canada, Japon, Suède) restaient en principe fixes mais dans
les faits, de plus en plus fluctuants (en raison de réajustements permanents), il a été décidé le 19 mars 1973 l’abandon total des taux fixes et leurs "changes flottants". Cet état de fait a eu
un effet mécaniquement inflationniste.
La réforme de la Banque de France de 1973 rendait nécessaire l’appel au marché pour emprunter de l’argent. Son article 25
dit : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de
France. ». Cette loi a donc effectivement favorisé l’essor d’un marché privé ou public d’obligations.
Par ailleurs, le Trésor public peut toujours recourir à la Banque de France, exceptionnellement. L’article 19 de la loi (qu’on se garde
bien de rappeler) le dit clairement : « Les conditions dans lesquelles l’État peut obtenir de la Banque de France des avances et des prêts sont fixées par des conventions passées
entre le Ministre de l’Économie et des Finances et le gouverneur, autorisé par délibération du conseil général [de la Banque de France, l’instance décisionnelle, NDLA]. Ces conventions doivent
être approuvées par le Parlement. ».
I have a dream…
Ceux qui contestent (avec trente-cinq ans de retard !) cette loi (dont le principe n’a jamais été remis en cause par
aucune majorité, malgré les nombreuses alternances durant cette période) auraient voulu en fait que l’État puisse emprunter de l’argent à taux nul ou quasi-nul (ce qui reviendrait presque au
même). C’est certes louable et gentil pour les deniers publics, donc, pour mon argent de contribuable. Mais en gros, cela revient à croire au Père Noël, laisser
croire que l’argent n’a pas de coût ; ce qui est économiquement faux. Car le rêve pourrait devenir rapidement un cauchemar.
La conséquence de ce qui est préconisé, c’est qu’avec la dette actuelle, cela aurait abouti à une montée en flèche (en flamme) de
l’inflation. Qui pourrait aisément se calculer à partir du taux d’intérêt des marchés. La différence deviendrait de la création monétaire, à savoir une baisse de la valeur de la monnaie et par
conséquent, une augmentation du prix des produits de grande consommation, et donc baisse énorme du pouvoir d’achat.
Paradoxalement, c’est le gouvernement socialo-communiste (comme on disait à l’époque) qui, en mars 1983, a compris le danger d’une trop forte inflation, à l'instar de
Raymond Barre. En restant dans le Système monétaire européen, François
Mitterrand a résolument opté (heureusement) pour une politique qui a limité fortement l’inflation (ce fut une réussite à saluer), qui protège la monnaie et qu’il insère la France au cœur de la
future Union Européenne créée à Maastricht avec l’euro.
Combattre l’inflation
Que reproche-t-on à cette loi de 1973 (qui a été complètement abrogée, soit dit en passant, par la loi n°93-980 du 4 août 1993
qui a rendu indépendante la Banque de France dans l’objectif de Maastricht et de l’euro), si ce n’est son principe de réalité ?
Il n’y a pas vraiment de surprise : tous les emprunts d’État émis en dessous des taux d’intérêt du marché (qui est international et
donc difficilement maîtrisable) auraient entraîné de la création monétaire et donc un affaiblissement de la monnaie, et une poussée inflationniste qu’il faut au contraire juguler (elle a même
atteint 14% dans les années 1970).
L’irresponsabilité des gouvernements à accepter le principe même du déficit en période ordinaire (qui peut se concevoir en cas de crise
non planifiée) est ainsi bridée par l’existence de ces taux d’intérêt. Si les taux étaient quasi-nuls, les gouvernements auraient eu recours à plus de dettes pour renforcer leurs tentations
clientélistes. C’est un peu ce qu’il s’est passé en Grèce lorsque le
pays a adopté l’euro, réduisant leurs taux d’intérêt sur leurs dettes d’environ 15% à 5%. Au lieu d’en profiter pour assainir leurs finances, les gouvernements grecs en ont profité pour emprunter
encore plus jusqu’à la crise de 2010.
Valéry Giscard
d’Estaing s’en est expliqué sur son propre blog le 25 juillet 2008. Il était à l’époque le Ministre des Finances : « La réforme des
statuts de la Banque de France (…) est une réforme moderne qui a transposé en France la pratique en vigueur dans tous les grands pays : il s’agissait à l’époque de constituer un véritable
marché des titres à court, moyen et long terme, qu’il soit émis par une entité privée ou publique. ».
Il a ajouté la raison essentielle : « La possibilité de prêt direct de
la Banque de France au Trésor public a généré partout où il fut appliqué une situation d’inflation monétaire permanente. ».
Copier-coller de Wikipédia
Or, cette seconde phrase n’est jamais citée par ces internautes que j’ai évoqués au début de l’article, qui ne se contentent que
de recopier une page Wikipédia qui ne manque pas de lacunes (comme souvent) et qui a l’audace d’embrayer (sans logique apparente) sur l’Emprunt Giscard : « Valéry Giscard d’Estaing met en place l’Emprunt Giscard, emprunt national à un taux de 7% qui sera particulièrement coûteux pour la France puisque
pour 7,5 milliards de francs empruntés pour 15 ans, l’État dut rembourser (en intérêts et capital) plus de 90 milliards de francs. » (je cite Wikipédia tout en corrigeant quand même les fautes d’orthographe).
Sous réserve que ces propres informations soient exactes, elles sont présentées de façon particulièrement de mauvaise foi puisque toute
personne qui a contracté un prêt immobilier par exemple, ou un autre type de prêt à long terme, sait très bien que les intérêts sont toujours très coûteux et peuvent facilement multiplier le
montant du capital. L’indexation sur le cours de l’or qui, en 1973, avait une croissance moindre que l’inflation et qui a grimpé plus vite à la fin des années 1970 n’a contribué que pour 20% au
coût final de l’emprunt.
Là où la mauvaise foi est patente, c’est que le taux de 7% fut finalement assez faible quand l’inflation a atteint, pendant cette période
de quinze ans, jusqu’à 14% ! En clair, ceux qui ont prêté l’argent ont perdu le différentiel ! Cette condition était donc, bien au contraire, un bon paramètre pour l’État, et par
ricochet, pour les contribuables français.
De toute façon, la décision d’un grand emprunt est toujours politique et volontariste. Il a pour but de relancer certains secteurs.
Tirs groupés contre une loi
Reprenons l’ensemble donc : on conteste cette loi devenue la SEULE explication des déficits publics actuels. Pourtant, comme
dans chaque ménage, il y avait une solution très simple pour éviter de payer tant d’intérêts : c’est de ne pas faire de déficits publics, sauf temps de crise. Or, crise ou prospérité, les
déficits n’ont cessé de croître comme solution de facilité (j’y
reviendrai) alors que le sens des responsabilités pour les générations futures imposait de s’occuper de ce problème crucial le plus rapidement possible (le candidat François Bayrou en 2007 avait insisté sur ce sujet, qui, évidemment, ne fait pas
rêver les foules).
C’est un peu comme si l'on condamnait des médicaments contre le cancer parce qui ne guérissent pas le cancer alors qu’au minimum, ils
l’accompagnent et en réduisent les effets.
Tirs groupés contre deux grands hommes d’État
Depuis qu’ils ont "découvert" cette loi du 3 janvier 1973 (notons qu’aucune loi n’a jamais été cachée et est dans le domaine
public dès
En oubliant que ces personnalités ont, comme leur illustre prédécesseur et leurs moins exceptionnels successeurs, apporté une pierre
décisive dans la construction européenne qui a fini par créer la monnaie unique et surtout, qui a permis d’obtenir pour nos dettes souveraines un taux d’intérêt bien plus faible que celui qu’on
aurait obtenu hors de la zone euro. D’ailleurs, Pompidou voyait la
monnaie unique comme l’aboutissement logique et à long terme de la Communauté économique européenne et Giscard d’Estaing a créé le Système monétaire européen pour réduire les fluctuations entre
les monnaies européennes dans l’optique d’une stabilité des taux de change.
Toujours les mêmes rengaines !
Évidemment, en se focalisant sur cette loi, qui n’est qu’une réforme du fonctionnement de la Banque de France (celle de 1993 est
d’une envergure bien plus grande), on se permet de dénoncer pêle-mêle les banquiers (rappelons que Pompidou a commencé à servir De Gaulle dix ans AVANT son court passage chez Rothschild), la construction européenne (qui, au contraire, a atténué de façon exemplaire
la crise de 2008), le "lobby de la finance internationale", et plus généralement, avec un vocabulaire très célinien, les banksters… Rien de nouveau depuis 1938 ! On applique en fait tranquillement la théorie du complot (c’est Rothschild qui tirerait les ficelles !).
Alors, que répondre à ceux qui voient rouge avec près de quarante ans de retard ? J'aimerais bien savoir comment ils feraient
pour proposer des budgets qui ne soient pas déficitaires. Comme le disait récemment François Fillon, le meilleur moyen de combattre les taux d’intérêt, c’est de ne pas emprunter.
Père Noël et cauchemar
En résumé, il est stupide d’attaquer la loi de 1973 qui a de toute façon été abrogée depuis près de vingt ans ! (la loi de
1973 n’est donc plus applicable). Cette loi n’interdisait pas le recours à l’emprunt auprès de la Banque de France (voir l’article 19) mais encadrait plus sérieusement les conditions en
favorisant le développement d’un marché obligataire qui avait un intérêt économique par la mise en concurrence. Cette loi, adoptée quelques mois avant le premier choc pétrolier, a évité une
envolée de l’inflation (déjà élevée) en en compensant les effets.
Rappelez-vous : la crise de 1929 a engendré beaucoup d’inflation qui n’a finalement abouti qu’à exacerber les sentiments les plus
vils de repli sur soi. Ceux qui soufflent sur les braises ne font que renforcer cette tendance (d’ailleurs, est-ce vraiment un hasard si ceux qui pourchassent a priori les étrangers et insufflent
la xénophobie sont pour le rasage gratis ?).
Évitons de croire au Père Noël : les consommateurs français payeraient bien plus cher avec l’inflation l’irresponsabilité de ceux qui
veulent des taux nuls pour les dettes de l’État.
Mais c’est le ressort de toute démagogie de vouloir faire des voix sur des idées un peu trop… simplistes.
Heureusement, elles sont encore loin d’être majoritaires et n'ont jamais représenté plus d'un quart de l'électorat, exactement : 20,3% le 22 avril 2007 (présidentielle), 13,6% le 10 juin 2007
(législatives), 25,5% le 7 juin 2009 (européennes) et 21,6% le 20 mars 2010 (régionales) si on totalise l'ensemble des formations dont les leaders rabâchent cette démagogie à
longueur de tribunes.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (6 juillet 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Georges Pompidou.
Les EuroBonds.
Démagogie 2.0.
Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 (texte intégral).
Blog de Valéry Giscard d’Estaing.
La dette dans les rêves…
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/loi-du-3-janvier-1973-on-rase-97138