Jacques Sargos a trois passions dévorantes : les Landes dont sa famille est originaire, la peinture et les livres. Il les a réunies ici pour notre plus grand plaisir. Tous les cinquante ans, ou chaque deux générations, les Sargos nous gratifient d'un livre essentiel sur la forêt landaise. Comme s'ils se devaient de répondre à un devoir auquel leur origine landaise les astreindrait.
Ce très beau livre, très aéré, très illustré, aussi facile qu'agréable à lire, apparaît finalement comme un travail de vulgarisation du livre un peu aride du grand-père : "Contribution à l'Histoire du boisement des Landes de Gascogne".
La réserve exprimée vis-à-vis de quelques personnalités établies qui était une des originalités de ce premier livre est ici encore plus marquée, surtout à l'égard de Jules Chambrelent : "Cela pour réfuter la légende selon laquelle le massif gascon aurait été semé à la vitesse de la foudre par deux ou trois bienfaiteurs, sous l'œil médusé des indigènes.".
La thèse ici défendue est que l’ensemencement des Landes en pins maritimes n’a pas été seulement le fruit de la loi de 1867 et de la volonté de transformation radicale de cette contrée par Napoléon III, même si la puissance publique centralisatrice et autoritaire en a précipité la propagation (ainsi que l’aubaine toute momentanée de la Guerre de Sécession).
Dès le XVIIIème siècle, et plus particulièrement sous l’influence des physiocrates, on a commencé à fixer les dunes et à semer des pins (une semence qui ne coûte pratiquement rien) pour pouvoir les gemmer, c'est à dire en recueillir la sève, la résine, fruit de nombreux dérivés. La technique est séculaire : on protège les semis du vent par un lacis de branchages et de bruyères présentes un peu partout. Ce qui importe est aussi de drainer les grandes étendues de marécages, la faible pente du terrain ayant la propriété d’emprisonner l’eau en de vastes bourbiers où sévit le paludisme.
La seule façon d’obtenir de rares cultures vivrières est alors d’entretenir des troupeaux dont le fumier, recueilli dans les bergeries, permet d’amender le sable. De là, au moment où l’extension du pin se fait inexorable du fait de la demande croissante en résine et en gemme (pour la marine en particulier), la nécessité de protéger les semis des passages des moutons qui mangent les jeunes plants et des bovins qui piétinent le terrain. Une lutte sans merci s’engage entre les propriétaires de pignadars et les pasteurs, avec d’immenses incendies à la clef. Ce combat perdurera au Second Empire.
Passionnante est la description de la spéculation, des fortunes englouties dans des expériences agronomiques menées par des savants en bas de soie, les gloires locales auto-proclamées, les effets pervers d’une loi de 1857 aggravée par une autre trois ans plus tard qui transformera effectivement une région pastorale en culture industrielle. Les héros en sont des ingénieurs du corps prestigieux des Ponts et Chaussées : aussi géniaux précurseurs qu’habiles spéculateurs parmi lesquels Nicolas Brémontier (ici à gauche), Charlevoix de Villiers, l’abbé Desbiey et son frère Guillaume, Daniel Néser, Pierre Balguerie-Stuttenberg, le vicomte Lainé, Claude Deschamps et son gendre Jean-Baptiste Billaudel.
Pendant des générations successives, des compagnies rivales engloutiront des fortunes pour financer et tenter en vain de réaliser des canaux destinés à rendre les Landes accessibles et à favoriser leur exploitation. C’est l’arrivée du Chemin de Fer et le financement des frères Péreire qui serviront de déclic. La création de la Ville d’Hiver d’Arcachon par Emile Pereire et le prolongement de la ligne de Bordeaux à La Teste vers Bayonne sont emblématiques. Les riches spéculateurs qui se porteront acquéreurs de milliers d’hectares de terrains communaux feront le reste.
Largement illustré de gravures et de lavis d’ingénieurs, en particulier les projets d’ouvrages d’art nécessaires au percement de canaux hypothétiques, ce livre constitue une somme, la référence si on veut comprendre les Landes de Gascogne …et du Lot-et-Garonne.
Histoire de la forêt landaise, du désert à l’âge d’or, par Jaques Sargos. Editions l’horizon chimérique, 559 p. 48€