Ecrire son poème, est-ce une trahison,
comme devant la mise à mort d'un innocent
on détourne les yeux ? Aligner quelques mots
qui lâchent le réel pour un gramme d'azur,
est-ce dresser un paravent contre le monde
affolé dans son bain, parmi l'écume noire ?
Traiter sa fable favorite en libellule
par-dessus la rivière, est-ce oublier le pain
qui manque à l'homme ? Remplacer le vrai printemps
par un printemps verbal aux toucans invisibles
qui sont peut-être un peu de feu, est-ce insulter
notre nature ? Aimer une voyelle blanche
comme on aime sa fille, est-ce être dédaigneux
de notre amour universel, qui nous saccage ?
Alain Bosquet