(Dé)mondialisation et autres couples

Publié le 05 juillet 2011 par Egea

C’est LE débat du moment : celui de la démondialisation. Il nécessite peut-être quelques aperçus : non sur le fond du sujet, mais sur la position des acteurs, leurs représentations sous-jacentes, et donc les visions géopolitiques qu’elles recouvrent.

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Décryptage.

1/ Le mot est popularisé par Arnaud Montebourg, qui entraîne derrière lui une large partie de la « gauche à gauche », mais la notion est aussi populaires chez de nombreux électeurs de la « droite à droite ». Qu’est-ce à dire ?

  • Que la mondialisation (entendue comme libérale) menace « nos emplois » par un dumping social et écologique et qu’il faut donc s’en protéger par des mesures de lutte contre ce dumping, en clair des barrières.
  • En face, les mondialistes expliquent que les barrières ont toujours été contournées, que l’internationalisation des échanges permet un accroissement de la richesse globale et des richesses particulières, et qu’il ne faut pas tomber dans le simplisme.

2/ En fait, le débat oppose un simplisme contre un simplisme : c'est quelque chose de facilement articulable, deux catéchismes qui se répondent et se renforcent par là-même. Je ne vais pas cependant verser dans le truisme (« les extrêmes se rejoignent ») ni dans le nouveau cliché au goût du jour (le peuple et les « élites » se distancent, une oligarchie apparaît).

3/ Je remarque surtout que ce couple mondialisation/démondialisation recouvre, en quelque part, d’autres couples qui « structurent » le débat français :

  • le couple décliniste/optimiste (Baverez contre Minc)
  • le couple néo-républicain/néo-libéral
  • le couple écologie/économie

Au passage, des mots de l'ordre plutôt "économique" que "politique".

4/ Au fond, c’est une nouvelle incarnation du vieux couple progrès/réaction. Mais celui-ci a longtemps été polarisé selon un clivage gauche/droite, ce qui fait qu’on a du mal à y faire correspondre le débat actuel : la structuration politique résiduelle entre gauche et droite rend mal compte de la structuration intellectuelle entre mondialisation et démondialisation (et autres avatars). On trouve ainsi, désormais, des progressistes et des réactionnaires aussi bien à gauche qu’à droite.

  • pour tout dire, néo-républicains comme néo-libéraux paraissent tous deux des conservatismes, marqués par une « représentation » du monde qui les empêchent de penser la situation actuelle si mouvementée (l'accumulation des chocs stratégiques est la manifestation du mouvement).
  • remarquons au passage qu'il s’agit bien de se représenter le « monde » : la Weltanschauung n’est pas qu’une simple conception philosophique.
  • ainsi, le seul débat politique qui demeure tient à l'appréhension du monde tel qu'il est, et tel qu'on a du mal à l'expliquer. Cette difficulté est patente par l'utilisation du préfixe "néo" aussi bien chez les néo-républicains que chez les néo-libéraux : on se sert de schémas du passé pour des situations qui n'y correspondent pas. Voilà pourquoi ils sont tous deux "conservateurs".

5/ Pour aller plus loin, j’ai l’impression que chacun a du mal à énoncer ce qui « nous » distingue de l’autre : ce "nous" adresse aussi bien la question de l’Occident, que celle de l’Europe, que celle de la France.

  • A chaque fois, on a du mal à définir ce que c’est (occident, Europe, France), et surtout en quoi c’est différent des autres (au passage : l'altérité est-elle politique, son refus - l'échange- est-il économique ?). Bref, ce qui nous pousse à avoir des « intérêts » communs, des « ambitions » communes, des projets et des actions « en partage ».
  • Au fond, le vrai débat n’est désormais plus celui de l’universalité (vieille passion française) mais celui de la singularité. Ou, pour oxymorer, celle de la singularité collective.

6/ On discerne bien que l’Europe n’a plus de valeurs en propre, ce qui explique son inaction actuelle. Elle découvre tout juste, à l’Est, qu’elle a des frontières (ceci dit sans préjuger de l’éventuelle adhésion turque). A propos de cette découverte de la frontière, observez le dernier Régis Debray : vous qui êtes géopolitologue n’y apprendrez rien (vous pouvez donc vous passer de le lire), mais il est notable qu’un tel « leader d’opinion » publie aujourd’hui ce livre sur la frontière : R. Debray, comme à son habitude, est le symptôme de l’air du temps. Derrière la frontière, il y a donc la différentiation, et au-delà la souveraineté. Extérieure et intérieure.

7/ Une frontière à l’Est, et c’en est fini de l’illusion de la paix perpétuelle (kantienne). L’Europe n’européanisera pas le monde, c’est ce que nous apprend l’émergence (la Turquie est émergente, au passage). L’émergence ne défie pas seulement les Etats-Unis, elle défie également (surtout ?) l’Europe.

8/ Ce qui pose la question de la frontière occidentale de l’Europe : gît-elle dans l'Atlantique, ou dans le Pacifique ? Cela renvoie à la question de l’Occident : est-il forcément transatlantique, ou y a-t-il des voies autonomes ? Comment conjuguer des valeurs communes, avec des intérêts particuliers ? Du coup, ces intérêts différenciés reposent-ils sur des valeurs différenciées ? Lesquelles ?

Il faut répondre à ces questions avant de proposer un projet pour la France. C’est je crois le vrai débat recouvert par cette mondialisation actuelle, qui n’est plus la mondialisation « heureuse » des années 1990.

O. Kempf