"J'ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11.000 enfants français victimes de la Shoah (...) Rien n'est plus émouvant pour un enfant que l'histoire d'un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui".
Le mot est lâché: "émouvant". L'Histoire doit être abordée par le biais des sentiments.
Je suis très gênée par cette approche pleurnicharde. On nous l'a déjà imposée avec la lecture de la lettre de Guy Môcquet aux lycéens (une poignante lettre d'adieu d'un adolescent à sa famille, juste avant son exécution). On sait bien que sous le coup de l'émotion, on ne pense pas sereinement. Le pathétique gomme l'analyse, et on est en droit d'être inquiet quand il prétend s'y substituer. Cette approche évacue la distance historique, ignore la réflexion sur les causes politiques et sociales, la compréhension d'un contexte historique (la lettre de Guy Môcquet n'expliquait rien de son combat, ni des raisons pour lesquelles il mourait).
Quel est l'intérêt de personnaliser ainsi l'Histoire? De nombreux films, de nombreux livres accessibles à des enfants de 10 ans, sont déjà là pour porter le témoignage sensible. S'ils ne présentent les itinéraires que de quelques uns, ils ont suffisamment valeur de symbole pour prétendre à l'universel. Sans compter que la médiation d'un réalisateur, d'un auteur n'a rien de superflue, car elle propose un regard, elle construit.
Les valeurs qui sous-tendent ce que propose Sarkozy, ce sont l'immédiateté (pas de médiation entre soi et le passé) et l'individualisme (à chacun le sien). Tout le contraire d'une mémoire citoyenne, qui est nécessairement une mémoire collective construite.
Quand j'avais moi-même 10 ans, on commémorait le bicentenaire de la révolution française. Chaque élève français de CM2 avait reçu une pièce de collection de 1 franc représentant la réunion des Etats Généraux, accompagnée d'un mot de François Mitterrand qui rappelait les valeurs républicaines. J'ai toujours ma pièce de 1 franc que je garde précieusement, car elle me rappelle le sens que cela a, être français, et ce qui fait de nous, les Français, une nation. Un symbole fondateur pour les enfants que nous étions.
J'imagine les enseignants remettre à chacun son enfant juif mort.
Ce geste n'est pas sans rappeler la confusion politique/ affect que pratique notre président. La semaine dernière encore, devant les ouvriers d'Alstom, il a déclaré: "Je voulais voir l'AGV. J'ai vu que les Italiens l'avaient acheté". Et il n'a pas pu s'empêcher d'ajouter après un temps de silence "C'est beau l'Italie...", un large sourire aux lèvres.
Prenant modèle sur notre président, dans les classes, on dira désormais "Il est mort le Juif...", une grosse larme à l'oeil.
Lien vers l'article de Libération rapportant cette intention présidentielle: http://www.liberation.fr/actualite/societe/309998.FR.php<...