En janvier 2007, le concertiste Joshua Bell descend dans le métro de Washington pour y faire entendre son Stradivarius. Des milliers d'usagers passent devant lui sans même lui prêter attention. Le soir même, son concert affiche complet.
C'est la même expérience que Simon Lelouch met en scène dans son court-métrage "7.57 am-pm" sorti en 2010. Un jour de mai 2009, le violoniste Renaud Capuçon fait entendre sur la ligne 6 du métro parisien toute sa dextérité. Quelques milliers de passants après, il n'a récolté que quelques maigres euros, dans une indifférence générale. Le soir, lui aussi monte sur l'une des plus grandes scènes parisiennes pour y triompher à guichets fermés.
Un document capital pour mieux cerner les composantes de la culture contemporaine. Celle-ci ne devient perceptible au public que dans l'enceinte officielle qui la rend légitime. Elle s'accorde pleinement à la société de consommation : il y a le temps du métro, il y a le temps de la salle de concert. Entre les deux, aucune porosité. L'oreille ne s'éveille qu'en situation de concert. Mais alors : où la surprise ? Où l'émerveillement "naïf", c'est-à-dire authentique ? Pourquoi les usagers du métro ne se sont-ils pas laissé "transporter" par la beauté universelle de cette musique ? Pourquoi sont-ils demeurés insensibles au cadeau qui leur était fait ?
Si l'Art se réduit ainsi uniquement à ce qui le légitime, on n'est alors plus très loin de l'Art officiel, pompier, académique. Ce film nous met en garde : car telle est bien la menace qui plane sur nos pratiques culturelles actuelles. On achète l'affiche de l'expo plus que le tableau de l'expo : on y voit un événement utile à notre distinction sociale, un signe d'élection. On regarde des dollars plus que l'expression de l'art. On fête non pas la maîtrise artistique, mais la réussite, l'inscription dans un cadre institutionnel. Bref, nous sommes en train de nous détacher des dimensions fondamentales de la geste artistique.
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