Par Martin Aurenche
La succession de l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, ne déroge pas à la règle. Ce bâtiment massif construit au 18ème siècle a depuis la révolution hébergé sans discontinuer l’État-major de la Marine française.
Sauf qu’en 2014, il est prévu que les militaires rejoignent le « pentagone à la française » voulu par Nicolas Sarkozy qui se construit dans le XVème arrondissement de Paris, laissant les 24 000 mètres carré de l’Hôtel de la Marine, dont beaucoup sont insalubres faute d’entretien régulier, vide de tout occupant.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher toutes les spéculations sur l’avenir du bâtiment. Surtout que le gouvernement a dans un premier temps voulu mettre sur pied un partenariat public-privé, pour confier l’exploitation de l’Hôtel de la Marine à des acteurs privés.
Pour une fois, c’était l’occasion pour l’État de faire enfin une bonne opération avec son patrimoine. En effet, en signant un bail emphytéotique de 99 ans, il faisait coup double, voire triple. L’État serait resté propriétaire, il aurait touché le loyer du bail, et en plus l’opérateur privé aurait pris à sa charge les travaux de remise aux normes (évalués 200 millions d’€) avant d’en assurer l’exploitation et l’entretien. Une plus-value qui tranche par rapport aux précédentes opérations immobilières de France Domaine qui gère le patrimoine de l’État et qui a par exemple vendu pour 85 millions d’euros les locaux de l’Imprimerie nationale en 2003 et racheté en 2007 pour 325 millions d’euros.
Devant une si belle opération donc, mais mêlant les mots patrimoine immobilier de l’État et initiative privée, on a pu assister à une levée de boucliers de tout un tas de pétitionnaires. Peu importe le projet qu’aurait pu accueillir le partenariat public-privé, qu’une entreprise trouve un intérêt dans l’exploitation d’une infrastructure publique était forcément suspect. De peur d’affoler toute une partie de l’intelligentsia parisienne et culturelle, le Président de la République a décidé de geler l’appel à projet et de remettre le sort de l’Hôtel de la Marine entre les mains d’une commission dirigée par l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing. Cette commission, bien que formée de membres hautement recommandables, reste peuplée uniquement de personnalités issues d’établissements publics, parapublics ou d’universitaires et d’académiciens.
Dès lors, d’un projet de partenariat public-privé innovant de création et de mécénat artistique envisagé au début sous le nom de « La Royale », ouvert au grand public sur une des places les plus attractives au monde, les chantres du tout public ont préféré envisager des solutions au rabais. Tour à tour ont été étudiées la possibilité d’y héberger un musée du 18ème siècle qui deviendrait le 56ème musée public de Paris (un gigantesque gâchis au regard de l’attractivité de la Concorde), une dépendance du Louvre, qui serait prêt d’ailleurs à s’étendre n’importe où pour refourguer une partie des 400 000 pièces qui dorment dans ses sous-sols, ou encore d’y héberger les locaux du nouveau défenseur des droits. Bref, mettre à tout prix quelque chose dedans, rénover fastueusement avec l’argent du contribuable, mais surtout rien qui ne ressemble à l’entreprise privée.
L’affaire de l’Hôtel de la Marine symbolise surtout la gestion ruineuse et inefficace du patrimoine public.
Incapable de connaître précisément ce dont il dispose, ni d’intégrer une dose de rentabilité dans sa gestion, l’État propriétaire ne sait pas comment s’y prendre aujourd’hui avec les « bijoux de famille » qu’il a accumulé.