L’évènement des Rencontres d’Arles, c’est toujours un peu le Prix Découverte, pour lequel les professionnels votent, et qui sera décerné samedi soir. Cinq commissaires ont chacun présenté trois candidats, et leurs choix sont parfois révélateurs. Ainsi deux des trois artistes présentés par le conservateur de la Tate, le Japonais Minoru Hirata (photographies de performances artistiques et vues d’Okinawa) et l’Américain Mark Ruwedel (vues de l’Ouest des USA un peu trop inspirées par Ed Rusha : 1212 palmiers) sont hyperclassiques et n’apportent pas grand-chose de neuf. Le collectionneur Artur Walter ne sort guère des sentiers battus non plus : Mikhael Subotzky est loin d’être une découverte, mais son travail sur la tour de Ponte City à Jo’burg est bien mis en scène ici, de manière spectaculaire (fenêtres et portes). Les photos angolaises de sa compatriote Jo Ratcliffe et les beaux paysages de l’Italien Domingo Milella ne sont pas non plus des découvertes essentielles de la photographie d’aujourd’hui. Quand au directeur d’Aperture, Chris Boot, s’il reprend la photo web 2.0 de Penelope Umbrico, déjà abondamment montrée à côté, et si la mise en scène des photos homo-érotiques de Christopher Clary aurait pu se passer des deux matelas abondamment tachés et couverts de revues pornographiques au centre de la salle (c’est une exposition de photos, non ?), son choix de David Horvitz est plus intéressant, car cet artiste produit des photographies éphémères, destinées à Wikipedia ou à d’autres dépôts photographiques : tapez 241543903, chiffre arbitraire et regardez toutes ces images de gens mettant la tête dans leur congélateur. C’est drôle et révélateur d’un mouvement social, d’un réseau ; de là à mériter le prix…
Les choix des deux derniers commissaires sont plus intéressants. Sam Stourdzé propose Dallaporta, qui, après les mines et les domestiques battues, fait des photo aériennes archéologiques en Afghanistan avec un drone : démarche intéressante, mais qui me semble encore assez confuse (et avoir écouté son intervention récemment à la SFP ne m’a pas conforté) mais on devine une plus grande richesse sous-jacente qui, un jour, émergera avec plus de maturité, j’espère. Je passerai plus vite sur le Suisse Yann Gross qui fait une road movie en mobylette à la rencontre des cow-boys du Haut Valais. Le duo Jean-Luc Cramatte et Jacob Nzudie présente des portraits de jeunes bourgeois camerounais dans les rayons du supermarché (on peut aussi les retrouver dans ELSE) : beaux portraits bien affirmés, mais critique sociale un peu simpliste.
L’équipe du Point du Jour propose les salles vides de Lynne Cohen, la série américaine de Rut Blees Luxembourg (mais je trouve que les photos montrées chez Dominique Fiat étaient plus fortes) et le faux naïf Joachim Mogarra qui nous dévoile la "magie de l'art photographique".
Pour qui voter alors, qui soit une vraie découverte ? Eh bien, pour le troisième choix de Simon Barker (Tate), la jeune Lituanienne au nom si difficile à prononcer Indré Serpytyté, une relative inconnue dont le travail a à la fois un intérêt historique et une dimension formelle bien affirmée. Dans son pays, occupé cinquante ans par les Soviétiques, des résistants (des terroristes, bien sûr, dans la langue du pouvoir colonial) se sont battus, se sont cachés, ont été arrêtés, torturés, tués, sans que le monde entier ne s’en soucie (non, je ne fais pas de parallèle…). Des maisons ont été utilisées par les services secrets soviétiques – NKVD, MVD, MGB, KGB – à ces fins. L’exposition présente des photographies anciennes de ces maisons, sur les pages annotées d’un carnet, des maquettes de ces mêmes maisons dans des vitrines blanches (en haut, photographiée par l'auteur du blog), et les photos de ces maquettes par l'artiste sur fond noir. Le passage d’une forme à l’autre, la médiation par la représentation, le travail manuel de l’artiste comme passeur de mémoire en font un des travaux les plus originaux et les plus forts, et j’ai donc voté pour elle.
Photos de l'auteur, excepté les deux dernières provenant du site de l'artiste.