Continuateur de De Gaulle, auteur de la prospérité des années 1960 et 1970, symbole de la toute puissance de la croissance économique et de l’expansion industrielle. Et homme de goût
pour les arts et les lettres.
C’est en quelque sorte le petit-fils spirituel de Pompidou qui reprend ses traces, par l’intermédiaire de l’héritier du pompidolisme, Jacques Chirac. À onze heures et demi, il devrait prononcer un discours pour
rendre hommage au « visionnaire pragmatique » de la fin des Trente
Glorieuses.
Nicolas Sarkozy avait déjà évoqué le 22 juin 2011 la part déterminante de Pompidou dans la relance de la construction européenne. Cette déclaration s’est tenue en marge d’un colloque sur Georges
Pompidou auquel ont entre autres participé Édouard Balladur, qui fut son secrétaire général à l’Élysée, Éric
Roussel, l’auteur d’une biographie en 1984 qui fait autorité, Bernard Accoyer, le Président de l’Assemblée Nationale, Jean-Bernard Raimond, ancien Ministre des Affaires étrangères, Bernard
Esambert, haut fonctionnaire et industriel (X-Mines), ancien collaborateur de Pompidou, Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France, Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères, et Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal ayant
succédé à Léopold Sédar Senghor qui fut le condisciple de Pompidou et d’Aimé
Césaire à Normale Sup.
Un enfant de la IIIe République
Né un peu avant la Première guerre mondiale, Georges Pompidou fut, au même titre que Philippe Séguin ou François Bayrou, un enfant de la méritocratie républicaine. Fils de deux
modestes instituteurs et petits-fils de paysans, le schéma typique des hussards de la IIIe République incitait la troisième génération à servir l’État comme fonctionnaires.
Brillant élève au lycée Lapérouse à Albi (premier prix au concours général de version grecque), puis en prépa à Louis-le-Grand, Pompidou a
été reçu premier à l’agrégation de lettres (en 1934) après son cursus rue d’Ulm et fut aussi diplômé de la future Science Po Paris (comme Michel Debré et Jean-Marcel Jeanneney).
Un normalien qui sait écrire
Restant étrangement passif et neutre sous l’Occupation (aucun engagement dans la Résistance), Georges Pompidou a réussi cependant grâce
à son réseau à rejoindre le cabinet de De Gaulle, chef du gouvernement,
entre septembre 1944 et janvier 1946 comme chargé de mission pour l’Éducation nationale (il enseignait alors à Henri-IV). Il avait été recruté sur cette injonction : « Trouvez-moi un normalien qui sache écrire ! ».
Nommé ensuite maître des requêtes au Conseil d’État, il resta au service de De Gaulle pour préparer les réformes dans l’éventualité d’un
retour au pouvoir de De Gaulle. De 1948 à 1953, Pompidou fut le chef de
cabinet de De Gaulle et fut chargé notamment de s’occuper de la Fondation Anne-De-Gaulle.
De 1954 à 1958, il travailla pour la Banque Rothschild comme directeur général où il prit conscience de l’importance du développement
industriel dans le bien-être d’une société.
Dans l’action au plus haut niveau (1958-1974)
Du 1er juin
1958 au 7 janvier 1959, Georges Pompidou fut le directeur de cabinet de De Gaulle revenu au pouvoir à la tête du dernier gouvernement de la IVe République. En initiant le Comité Pinay-Rueff, il influença de manière décisive la politique économique et industrielle de la France gaullienne des années 1960
(voir cet article). Il milita également pour l’application du Traité
de Rome signé l’année précédente ce qui engagea la France dans une politique
d’intégration européenne renforcée.
Le 8 janvier 1958, Georges Pompidou assista aux premières loges à l’investiture de De Gaulle à l’Élysée en étant dans la voiture
présidentielle. Il fut nommé, de mars 1959 à avril 1962, membre du Conseil
Constitutionnel, organisme nouveau chargé de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Pendant ce mandat, Pompidou fut chargé par De Gaulle de missions de confiance, notamment
dans le cadre des négociations pour aboutir aux Accords d’Évian (indépendance de l’Algérie) signés le 18 mars 1962 et ratifiés par le référendum du 8 avril 1962.
Matignon
Ce fut la surprise générale quand De Gaulle décida de nommer à Matignon son ancien directeur de cabinet jamais encore élu.
Georges Pompidou fut Premier Ministre du 14 avril 1962 au 10 juillet 1968, le chef du gouvernement le plus long de toutes les républiques. Paradoxalement, il fut le seul Premier Ministre censuré
par l’Assemblée Nationale sous la Ve République, le 5 octobre 1962, à la suite
de la décision d’organiser un référendum sur l’élection du Président de la
République au suffrage universel direct (qui a eu lieu le 28 octobre 1962). De Gaulle a dissout alors l’Assemblée Nationale le 10 octobre 1962 et des élections législatives se
déroulèrent les 18 et 25 novembre 1962 renforçant la majorité gaulliste.
D’un point de vue institutionnel, Pompidou a toujours reconnu la prédominance du Président de la République sur le Premier Ministre
qui « n’est que le premier des ministres ». Cette citation a été de
Pompidou après son élection mais également régulièrement dite par De Gaulle selon Alain Peyrefitte.
Anti-extrémiste
Ce qui fut une réflexion anticipant assez bien la chute du mur de Berlin et la montée du Front national et de tous les extrémismes des décennies suivantes (il décida de dissoudre "Ordre nouveau", l’un des mouvements précurseurs du Front national, au
Conseil des ministres du 28 juin 1973 après des affrontements violents la semaine précédente à propos du sujet : "Halte à l’immigration sauvage").
La construction des grandes infrastructures
De très nombreuses réformes ont eu lieu pendant cette période, avec le lancement de grands projets industriels étatiques et le
début d’un aménagement du territoire qui se concrétisa par la création, sous sa Présidence, des régions administratives, aussi la création des villes nouvelles (Évry, Marne-la-Vallée,
Saint-Quentin-en-Yvelines etc.), la création de nouveaux départements franciliens et la.construction du périphérique parisien, des voies sur berge à Paris et du tunnel sous Fourvière à Lyon.
Conquête de l’UNR
Même si Pompidou avait sagement déclaré en novembre 1964 : « La succession du Général n’est pas ouverte et ne le sera pas de sitôt. », il croyait
fermement que De Gaulle ne se représenterait pas et qu’il serait le futur candidat héritier à l’élection présidentielle du 5 décembre 1965. Finalement, De Gaulle fut réélu le 19 décembre 1965
après un ballottage qui l’a traumatisé.
Première fois candidat aux législatives des 5 et 12 mars 1967, Georges Pompidou a montré son talent de débatteur en menant une campagne
très combative et en affrontant publiquement François Mitterrand à Nevers le 22 février 1967 et Pierre Mendès France à Grenoble le 27 février 1967. Ce fut à ces élections qu’il chercha à
contrôler l’appareil de l’UNR (l’ancêtre du RPR) en encourageant les candidatures de Jacques Chirac, Jean Charbonnel, Bernard Pons et Pierre Mazeaud. Le 26 novembre 1967, Pompidou avait
d’ailleurs réussi sa conquête du parti gaulliste, ayant compris qu’il fallait être maître d’un parti pour gager une élection présidentielle.
Disgrâce
La confiance entre De Gaulle et Pompidou s’effrita au cours de la crise de mai 1968. Au contraire de De Gaulle dépassé et
inquiet, Pompidou garda son calme, sut gérer l’apaisement et imposa sa sortie de crise par de nouvelles élections législatives les 23 et 30 juin 1968 qui retourna largement la situation en faveur
des gaullistes. Comble de l’ingratitude, l’homme clef du triomphe électoral fut remercié par De Gaulle et écarté du pouvoir (« en
réserve de la République »), peut-être pour gagner une nouvelle virginité avant l’élection présidentielle prévue pour 1971.
La dernière année de la Présidence de De Gaulle fut l’indépendance politique pour Pompidou qui n’hésita pas à troubler l’Élysée en
s’affirmant comme l’héritier officiel. Le 17 février 1969, il déclara à Rome : « Je ne pense pas avoir d’avenir politique ;
j’ai un passé politique ; j’aurai peut-être un jour, si Dieu le veut, un destin national. » ou encore :
« Si le Général De Gaulle venait à se retirer, je me porterais candidat à sa succession. (…) Ce n’est, je crois, mystère pour personne (…)
mais je ne suis pas du tout pressé. ».
De telles déclarations rassurèrent l’électorat gaulliste ne comprenant plus le nouveau référendum de De Gaulle du 27 avril 1969. Le "non"
de Valéry Giscard d’Estaing (l’allié exigeant) et la solution de
rechange avec l’éventualité de la candidature de Pompidou renforcèrent les partisans du non. Non à la réforme des régions et du Sénat et non à De Gaulle.
Élysée
Il nomma naturellement Jacques Chaban-Delmas à Matignon dont le dynamisme et l’ambition personnelle l’agacèrent, ce qui alimenta la longue tradition historique du couple chaotique Président
de la République/Premier Ministre sous la Ve République qui se termina, pour
Pompidou, par la nomination de Pierre Messmer à Matignon le 5 juillet
1972.
Sous sa Présidence, Pompidou poursuivit sa politique industrielle en lançant de nouveaux investissements : en particulier le TGV,
Airbus, le nucléaire (à la place de la filière gaz et charbon), les autoroutes. Il nuança la politique européenne de De Gaulle en rompant avec l’isolement diplomatique et en proposant l’adhésion
du Royaume-Uni dans la Communauté Économique Européenne (Traité du 22 janvier 1972 ratifiée par le référendum du 23 avril 1972).
Il entreprit également un début de libéralisation de la télévision et de la radio en créant notamment trois chaînes de télévision au sein
de l’ORTF.
Anticiper la France du futur
Pompidou visionnaire, il l’a été pour bien des sujets.
Le 28 février 1970, il prononça un discours remarqué sur l’environnement à Chicago. Certes, les préoccupations étaient plus d’ordre
esthétique (les usines devaient être belles !) que réellement conscientes de la nécessité de protéger la nature (c’était l’époque du tout pétrole et du tout automobile).
Il l’a été bien évidemment dans les investissements industriels d’avenir pour les décennies qui l’ont suivi. C’était également le cas sur
l’art contemporain où son intérêt et son ouverture pour l’art moderne
favorisa sa démocratisation : « L’art moderne doit pouvoir être vu et connu du plus grand nombre. », ce qui a abouti à la création du Centre Beaubourg en plein centre de Paris.
Il créa également le 3 janvier 1973 les fonctions de Médiateur de la République, fonctions récemment élargies (et constitutionnalisées)
par la réforme du 23 juillet 2008 en Défenseur des droits et pour lequel Dominique Baudis vient d’être nommé le 22 juin 2011.
Il échoua en revanche dans sa réforme du quinquennat qui avait pour objectif d’hyperprésidentialiser l’Élysée. Ses quatre successeurs ne
se privèrent cependant pas, quinquennat ou pas, de rendre
incontournable l’Élysée dans toutes les décisions politiques, même les plus dérisoires.
Symbole du bon vivant, au parler simple et à la voix rocailleuse, Georges Pompidou s’éteignit le 2 avril 1974 rongé par la maladie. Après
lui, François Mitterrand a également fait cohabiter maladie et gestion des affaires de l’État. Selon l’entourage de Georges Pompidou (en particulier Marie-France Garaud le 12 avril 2011),
Pompidou n’aurait jamais failli dans ses responsabilités d’État et la semaine précédent sa mort, il avait présidé le Conseil des ministres avec énergie et esprit.
Comprenne qui voudra !
Normalien épris de poésie (il publia une "Anthologie de la poésie française" en 1961), Georges Pompidou a fini sa première
conférence de presse du 22 septembre 1969 en réagissant à une question du journaliste Jean-Michel Royer (RMC) sur le tragique suicide de Gabrielle Russier (le 1er septembre 1969, condamnée pour avoir aimé son élève) d’une manière très énigmatique :
« Je ne vous dirai pas tout ce que j'ai pensé sur cette affaire. Ni même d'ailleurs ce que j'ai
fait. Quant à ce que j'ai ressenti, comme beaucoup, eh bien…
Comprenne qui voudra
!
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d'enfant
perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.
C'est de
l'Éluard.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie. »
Ces vers de Paul Éluard avait été publiés le 2 décembre 1944 en mémoire aux femmes tondues
(« Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles
n'avaient pas vendu la France, et elles n'avaient souvent rien vendu du tout. Elles ne firent, en tous cas, de morale à personne. »).
Le texte d’origine était le suivant :
« Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui
resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe
déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux
morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée
Une bête prise au
piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image
idéale
De son malheur sur terre. »
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (5 juillet 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Hommage de Nicolas Sarkozy à Pompidou du 22 juin 2011.
De Gaulle.
Alain Poher.
Jacques Chaban-Delmas.
Pierre Messmer.
Conférence de presse du 22 septembre 1969 (INA).
Biographie officielle sur le site de l’Élysée.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/georges-pompidou-heritier-et-97077