discrimination envers les hommes..
D’apparence anecdotique, ce jugement est non seulement annonciateur de hausse des tarifs, mais remet surtout en cause un des piliers du métier de l’assureur : segmenter. Privé de la question « qui êtes-vous ? », celui-ci pourrait alors chercher à savoir « comment vivez-vous ? ».
Un surcoût pour le consommateur
Une directive de la Commission Européenne du 13 décembre 2004 établit que l’égalité entre les sexes doit être respectée pour l’accès aux biens et aux services. Saisie par Test-Achats, une association de consommateurs belge, la Cour Européenne de Justice vient d’abroger[1] la dérogation auparavant accordée aux assureurs. Sont concernées l’assurance automobile, où la différence de tarif est la plus visible, mais aussi les assurances retraite, maladie et décès. À compter du 21 décembre 2012, tous les nouveaux contrats devront s’y conformer.
Certains assureurs y voient l’opportunité de gonfler leurs profits et une hausse des tarifs est probable. Annonçant les résultats de sa firme au lendemain du jugement, Henry Engelhardt, Président du Admiral Group[2], a renchéri : « En tant qu’assureur je suis comblé. Nous augmenterons les tarifs des femmes mais n’abaisserons pas ceux des hommes.». À en croire les assureurs, le surcoût pour les conductrices devrait avoisiner 25% en moyenne d’ici 2 ans. Les hommes sont également concernés puisque l’alignement unisexe de leurs pensions de retraite pourrait entrainer une baisse de rémunération de 10%[3]. Enfin, à ceci s’ajoutera le coût global de l’uniformisation des tarifs. Ce jugement en faveur de l’égalité risque ainsi de se voir réduit à une simple augmentation de la facture de l’ensemble des assurés. Il s’agit « d’une mauvaise nouvelle pour les consommateurs d’assurance », estime Michaela Koller, Directrice Générale du Comité Européen des Assurances.
Une perte de compétitivité pour l’assureur
La compétitivité d’un assureur repose en partie sur sa capacité à évaluer le risque associé aux produits qu’il commercialise. Ce décret inquiète donc également certains assureurs comme le souligne Adrian Brown, Président de More Than[4]: « Ce jugement […] nous empêche d’utiliser un critère légitime ».
À titre d’exemple, interrogeons-nous quant à la pertinence du sexe comme critère d’évaluation du risque associé à un conducteur. Au-delà de la polémique, les rapports d’accidentologie[5] fournissent des chiffres clairs.
Répartition des victimes tuées et blessées en fonction de l’âge et du sexe (par million d’individus de la classe d’âge)
Source : sécurité routière
D’après ceux-ci, les femmes sont soumises à un risque d’être accidentées de 33% inférieur à celui encouru par les hommes. Quant aux tués, le rapport chute à 1 femme pour 4 individus. Qui plus est, le coût moyen par accident reste moins élevé chez les conductrices.
Cependant, ces chiffres justifient difficilement à eux seuls du caractère “accidentogène” propre à un individu. D’autres facteurs interviennent, tel que le kilométrage annuel parcouru par exemple. Mais ces critères ne sont généralement pas pris en compte par les assurances puisque difficilement accessibles au niveau de l’individu. Les assureurs se sont donc jusqu’à présent concentrés sur des critères généraux, en définissant des profils de risque à partir de statistiques et de modèles mathématiques, établissant ainsi une segmentation de la population.
Or, une interdiction progressive de cette segmentation pour motif de discrimination réduirait les critères utilisables. De fait, le Parlement européen examine actuellement un nouveau projet de directive relatif à l’autre des deux principaux critères de discrimination, ou plutôt de différenciation, tout aussi couramment utilisé par les assureurs : l’âge. L’annonce a provoqué un vif débat sur la possibilité pour l’actuariat d’utiliser des données complémentaires. En clair, comment les assureurs vont-ils compenser la perte d’information pour rester compétitifs ?
Vers d’autres critères d’évaluation du risque
Une première solution serait de mutualiser les risques entre assurés et de proposer un tarif unique quel que soit le sexe et l’âge évitant toute recherche d’information complémentaire. Cependant, restreindre la faculté des assureurs à établir des primes reflétant le risque pose problème. En effet, ceux-ci seraient enclins à augmenter leurs tarifs afin d’éviter toute sous évaluation du risque, perdant ainsi en compétitivité.
Une alternative consisterait à remplacer en partie la question « qui êtes-vous ? » par « comment vivez-vous ? », en généralisant un suivi régulier d’éléments personnels tels que l’hygiène de vie, les conditions de santé ou encore le comportement de conduite. La Cour aurait-elle dû laisser le marché jouer son rôle, c’est-à-dire permettre aux compagnies possédant un système d’évaluation du risque plus élaboré de gagner en compétitivité et d’attirer les consommateurs ? Sans doute. Mais en prenant les devants, elle a accéléré un processus d’individualisation déjà en partie engagé.
En effet, la tendance au pricing individualisé commence à émerger dans l’automobile où un nouveau modèle low-cost se développe. Quelques assureurs proposent l’implantation d’une « boite noire », dispositif embarqué permettant de facturer le client en fonction de son comportement réel : trajets, vitesse, comportement d’accélération et de freinage, taux de conduite de nuit, etc. C’est le cas de la G-Box, un produit encore méconnu développé par AXA.
Du reste, les produits d’assurance automobile ne sont pas les seuls à être impactés par le jugement de la Cour de Justice et c’est bien tout le paysage de l’assurance et les techniques actuarielles traditionnellement utilisées qui vont devoir évoluer. S’il est envisageable que le législateur européen se saisisse du dossier pour réintroduire certaines dérogations, il reste malgré tout peu de temps aux assureurs pour proposer des produits leur permettant de rester compétitifs. Avant que le jugement ne prenne effet, ceux-ci devront mener une réflexion de fond sur de nombreux axes aux impacts stratégiques majeurs. Il s’agira de faire accepter de nouveaux produits aux consommateurs et chaque acteur devra se recréer un positionnement différenciateur conforme à la nouvelle réglementation. Les assureurs disposent ainsi de nombreux leviers : ajustement des primes, révision du portefeuille produits, réexamen de l’appétence au risque… mais de peu de temps.
Rappelons par ailleurs que 2013 verra l’entrée en vigueur de la réforme Solvabilité II. Les réflexions stratégiques autour de la refonte du portefeuille produits devront donc également tenir compte des contraintes associées à la directive. Pour être compétitif à horizon 2013, l’intégration conjointe des deux nouvelles normes réglementaires doit être préparée sans délais.