Le chômage et la crise économique ont atteint de telles extrémités que l’impensable s’est produit, nos sociétés s’écroulent comme châteaux de cartes, les rues sont livrées aux pillages, des groupes armés s’opposent aux forces de l’ordre qui elles-mêmes cèdent sousla poussée. Tous les barrages se rompent, le chaos total met les villes à genoux, le feu et le sang, la quête de nourriture, deviennent le quotidien mais plus encore « le nouveau territoire du conflit n’est pas uniquement alimentaire, il semble aussi être spirituel », les foules des villes partent en exode sur les routes pour fuir les terreurs urbaines.
Jacques, jeune architecte d’un grand groupe de BTP dont le bureau est à la Défense à Paris doit partir lui aussi, c’est une question de survie. Il décide de rejoindre ses parents habitant un petit village du sud de la France, d’abord sur une petite moto puis avec un ULM. Le trajet s’avérera risqué, ponctué de morts et d’actions violentes.
Quand enfin il retrouve sa famille, terrée dans un hameau des Basses Alpes, une évidence s’impose à lui, reconstruire ce hameau qui peu à peu va se développer grâce à l’arrivée de nouveaux migrants, chacun apportant ses connaissances pour recréer un début de vie dans ce monde qui s’écroule de toutes parts. Dès lors vont se poser des questions essentielles, vers quel type de société doivent-ils évoluer, doivent-ils s’imposer des limites à leur expansion, comment poursuivre leur entreprise sans être submergés par les nouveaux migrants qui ne vont pas manquer d’arriver ?
Roman d’anticipation, certes, mais le futur décrit par Chris Antone ne paraît pas hélas bien lointain, il suffit de lire les journaux chaque jour ou de regarder les informations à la télévision, pour reconnaître – par bribes – les faits exposés par l’auteur. Et c’est justement cette proximité qui donne toute sa force à ce roman car à le lire on réalise (pour ceux qui n’en aurait pas encore conscience) que nous sommes à deux doigts de basculer dans ce monde de chaos qui nous ramènerait aux temps moyenâgeux d’avant la société de consommation, tous les signes sont là, ne sont aveugles que ceux qui ne veulent pas voir.
Terriblement d’actualité, le bouquin de Chris Antone s’ajoute à la liste de tous ceux qui crient à l’urgence de mettre un frein aux excès de la consommation à outrance, à la refonte de nos systèmes économiques et surtout à penser au rôle que l’Homme doit occuper dans notre Monde en déliquescence. Un roman d’écologie politique sans discours lourdingue ou ponctué de références livresques, dissimulé derrière un livre enlevé et rythmé, avec de l’action, des combats armés et une fine dose de rapports sentimentaux pour que chacun trouve son plaisir à la lecture de ce très beau premier essai littéraire de Chris Antone.
PS : Bien entendu le titre de l’ouvrage en étonnera plus d’un, « Vicilisation » est un néologisme dérivé du latin vicus (village) et de civilisation, désignant une nouvelle forme de civilisation basant sa croissance sur le déploiement d’un réseau de villages de taille constante plutôt que sur la croissance non contrôlée des villes.
« Cette première année de refondation leur a permis de prendre toute la mesure de leur fragilité. Ils se sont rapidement aperçus que chacun de leurs gestes et de leurs tâches quotidiennes avait son utilité et s’inscrivait dans une finalité ne laissant aucune place au superflu. Leur lien à la terre s’est imposé de lui-même dans toute son âpreté, mais aussi sa générosité. C’est ainsi que les « paysans de la ville » ont redécouvert avec une sorte de joie enfantine et jubilatoire qu’ils pouvaient subvenir à leurs propres besoins alimentaires. Ils ont été presque étonnés de pouvoir directement obtenir des résultats avec leurs jardins, leur bassin à truites, ou leur poulailler sans avoir à passer par les rayons des supermarchés… »