Harcèlement moral: la violence perverse au quotidien (2/2)

Publié le 05 juillet 2011 par Frédéric Duval-Levesque


L‘actualité rapporte chaque semaine ou presque les combats de travailleurs harcelés.

A Lille, le Ballet du Nord a refusé de danser durant des semaines pour obtenir le départ de sa chorégraphe, qu’il accuse de harcèlement.

A Gonesse, les salariés d’une entreprise de vente par correspondance ont fait une semaine de grève pour dénoncer « le harcèlement permanent de certains chefs de service et de la direction« .

A la Croix-Rouge française, un collectif de défense regroupant une centaine de salariés dénonce des pratiques de harcèlement de certaines directions départementales. Une dizaine de plaintes ont déjà été déposées aux prud’hommes, et une manifestation est prévue le 21 novembre.

Associatif, public, privé… aucun secteur n’est épargné. 10% des salariés seraient victimes de harcèlement moral en France.

La journaliste Marie Muller a enquêté deux ans durant sur cette nouvelle souffrance. « Je ne m’attendais pas à un tel phénomène, à rencontrer dans notre pays un bouleversement des mentalités et de tristesse aussi grands« , écrit-elle dans « Terreur au travail ».

Que s’est-il passé ?

La société moderne fabriquerait-elle plus de pervers ?

Le monde du travail serait-il devenu particulièrement impitoyable ?

Les salariés d’aujourd’hui n’ont sans doute rien à envier à ceux du temps d’Hugo ou de Zola. Marie Muller a retrouvé le règlement intérieur d’une vinaigrerie, établi en 1880. « Piété, propreté et ponctualité font la force d’une bonne affaire« , rappelait le patron en préambule. « Il est strictement interdit de parler et de manger durant les heures de bureau. Et aucun employé ne sera autorisé à quitter la pièce sans l’avis du directeur« . Les conditions de travail étaient sans doute bien plus dures il y a un siècle, mais la solidarité de classe les rendait moins insupportables.

On se sentait embarqué dans le même bateau, les syndicats jouaient leur rôle. Aujourd’hui la hiérarchie est plus diffuse, les tâches plus personnalisées, plus immatérielles. Chacun se retrouve isolé avec pour seule mission: « Fais de ton mieux, débrouille-toi mais n’oublie pas les objectifs… ». De quoi rendre fou.

Les nouvelles règles de fonctionnement de l’entreprise, l’exigence de rentabilité, la course à la compétitivité, l’essor de l’autonomie, le tout dans un contexte de montée du chômage de masse – ont considérablement accru la pression sur les salariés. La menace de l’ANPE a permis à certains patrons de satisfaire en toute tranquillité leurs désirs de toute-puissance. Paradoxalement, la législation française, très protectrice, a aussi sans doute favorisé ce climat délétère : faute de pouvoir licencier à leur gré, certaines entreprises tentent de pousser leurs employés à bout… Mais la loi du profit n’est pas seule en cause: à côté de ce harcèlement lié aux contraintes économiques, la perversité ordinaire de petits chefs mal dans leur peau est aussi très répandue dans les associations, les hôpitaux ou les administrations. (…)

Source: Sophie DES DÉSERTS, « Harcèlement moral: la nouvelle donne », Le Nouvel Observateur, 14-20 novembre 2002