Ce roman est un peu l’histoire du temps qui passe, inexorable et silencieux, jusqu’au jour où ses ravages apparaissent brutalement. Vient alors l’époque de l’impasse et des regrets.
Alain Jessua, réalisateur, scénariste (on lui doit « la Vie à l’envers » et « Traitement de choc ») a choisi, pour incarner les années qui se sont enfuies, un critique gastronomique de renom. A 70 ans, Étienne n’a pas vu le temps passer. Il s’est investi tout entier dans son boulot, a toujours eu de la veine en amour. Il en a bien profité, les conquêtes se sont suivies presque sans interruption. Il n’a jamais eu de mal à séduire des femmes plus jeunes, mais si l’écart d’âge n’a cessé de se creuser, il a fini par atteindre un point de rupture.
Un jour tout bascule. Il aperçoit une femme ravissante. Elle pourrait être sa petite-fille, il le sait, et n’ose pas l’aborder. Désabusé, il a perdu son assurance, est devenu anorexique, en dépit des invitations alléchantes (c’est le cas de le dire) des restaurateurs et cuisiniers. Pour la première fois de sa vie, il est confronté à une réalité qui ne lui laisse plus aucune chance, ni aucune illusion. Mais Étienne a aussi un ami de longue date, Bernard. Celui-ci récupère le coup, retrouve la jeune fille, Clelia. Par chance, elle est actrice à ses heures. Il lui propose un curieux marché : elle devra rassurer Étienne en lui laissant croire qu’elle s’intéresse à lui, contre une petite récompense. Elle accepte, mais bien évidemment, cela ne sera pas aussi simple…!
… Pas aussi simple, car l’auteur est scénariste et utilise bien évidemment nombre d’ingrédients pour que cette histoire, qui serait ennuyeuse sous d’autres plumes, soit mouvementée. Et en effet, il y parvient avec beaucoup de brio. On peut éprouver un sentiment de dégoût à l’évocation des aventures parfois un peu grivoises de ces deux hommes sur le retour de gloire. Car ils paraissent odieux, quand ils se jouent des femmes et en parlent d’une manière détachée autant qu’insolente (mais réaliste !). Étienne a du culot, il va même chercher refuge chez sa femme officielle, qui l’éconduit. Il parait alors au summum de l’ignominie. Mais le temps joue son rôle, l’âge résonne comme un tocsin que nul ne peut ignorer. Alors, l’ancien séducteur parait impuissant et misérable, et le lecteur-témoin ne peut qu’éprouver un sentiment de pitié ou d’empathie. D’autant que ce vieux bougre est finalement très sensible et extrêmement sympathique. L’idylle qui se noue entre Clélia et Étienne sonne à la fois complètement fausse et terriblement juste. Fausse parce qu’elle est inventée par l’ami Bernard, et juste parce que çà et là surgissent des sentiments inattendus. Le lecteur ne va pas rester sur sa faim, il aura droit à un dénouement dont je ne vous dirai rien, bien entendu.
Il est impossible de ne pas se sentir concerné par cette histoire, tant la problématique du temps qui passe est bien mise en scène, ainsi que les affres de l’âge, et la séduction qui se fait plus discrète et laborieuse. Des dégâts que nous connaissons… ou qui nous attendent tous d’une façon ou d’une autre. Quant au style de ce roman, il convient à tout public, est sobre, sans recherche d’effets inutiles et de pathos, avec un juste dosage de mots. Chaque page est un trésor d’émotions, jusqu’à la fin, sur un ton toutefois un peu narratif.
« Bernard ne peut pas comprendre que, cette fois, c’est différent ! Ce n’est pas le sexe seul qui attire Étienne vers cette fille mais quelque chose de beaucoup plus profond. Sa beauté n’est qu’un signe. Les apparences trompeuses ? Certainement pas. Les notes sur le carnet révèlent l’acuité de son esprit. Il feuillette encore quelques pages et découvre que, sur les toutes dernières, elle a inscrit un calcul très précis des ses heures de présence à la villa. Pourquoi ? »
Petit ange d’Alain Jessua. Éditions Léo Scheer.
Date de parution : 11/05/2011 Isbn : 2756103136