Elle a lutté des années, sans broncher.
Françoise, 53 ans, menait une carrière paisible de traductrice-rédactrice dans une société informatique à Rungis.
Et puis une nouvelle direction a débarqué, fin 1992. Les tirs ont commencé quelques semaines plus tard. On a d’abord tenté de la convaincre de démissionner, avant de l’isoler dans un coin sombre, près des toilettes.
“Fanfan” a peu à peu perdu tout intérêt aux yeux de ses collègues. Ils se sont éloignés les uns après les autres. C’étaient des petites humiliations quotidiennes: regards insidieux, sourires moqueurs. Des portes qui se ferment, des conversations qui cessent dès qu’elle approche de la machine à café. Des remarques en douce sur son divorce, sa fragilité, son physique. ” Celle-là, il n’y a rien à en faire. Elle est imbaisable“, plaisantait le patron à l’heure du déjeuner. Elle l’entendait, tapie dans son bureau avec son sandwich poulet-crudités.
Le salaud s’amusait à lui coller des avertissements, la convoquait pour rien, cinq minutes de retard, un document mal agrafé, un bureau mal rangé. Un matin, alors qu’elle demandait quelques jours de congé pour se faire opérer d’une tumeur de la carotide, il a hurlé: “Ça va pas, on est en plein catalogue ! ” Il voulait sa peau. Françoise se tapait la tête contre les murs. Mais elle tenait bon, shootée la nuit aux somnifères, le jour aux antidépresseurs.
Des années de souffrance en silence. Et puis, un soir, elle est tombée sur une émission de radio consacrée au harcèlement moral.
“C’était comme une révélation, une résurrection. Je comprenais enfin ce qui m’arrivait.” Des milliers de salariés, comme Françoise, ont ressenti un immense soulagement en entendant parler du livre de Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, publié en 1998. La psychiatre n’avait pas découvert le phénomène – le concept de “mobbing” était connu depuis longtemps aux États-Unis et Christophe Dejours avait déjà analysé, en France, les souffrances psychologiques liées au travail – mais elle a su trouver le mot, les descriptions justes.
Beaucoup identifièrent ainsi cette violence sournoise et répétitive, ces frustrations quasi indécelables qu’ils vivaient chaque jour, à l’usine ou au bureau.
Depuis, le harcèlement moral est devenu un véritable phénomène de société, discuté dans des dizaines de colloques, de magazines, d’ouvrages. L’entrée en vigueur d’une loi anti-harcèlement en janvier n’a fait qu’amplifier la tendance. Des juristes, cabinets de conseil, psychologues, psychiatres, psychopraticiens, relaxologues… se sont engouffrés dans ce marché porteur. Les sites et les forums de discussions fleurissent. Une pièce de théâtre, ” Harcèlement mutuel “, se joue avec succès dans les entreprises.
“C’est simple. Un article ou une émission de télé sur ce thème, et on a cent coups de fil dans l’heure qui suit“, explique Loïc Scoarnec, président de l’association HMS (Harcèlement moral stop), qui a reçu cette année près de 17 000 appels.
La suite, demain…
Source: Sophie DES DÉSERTS, “Harcèlement moral: la nouvelle donne”, Le Nouvel Observateur, 14-20 novembre 2002
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