Huit jours plus tard, Mathias se retrouve à Moscou et s’embarque pour le Baïkal express, la fin du voyage Novossibirsk. En quittant Jeanne, « Je l’ai embrassée sur le front, puis sur les yeux, on a tremblé. Il y a eu comme une explosion silencieuse, et je suis parti.»
De Moscou, un long périple dans ce trio amoureux, dans ces souvenirs d’une liaison embuée par l’opium, et la vodka. Trois matriochkas, ces poupées russes entrées l’une dans l’autre maintenant séparées à tout jamais. Un décor russe tout en paysage, tout en histoire et tout en littérature.
«Nous nous excluions l’un et l’autre, Vladimir, dans nos longues hésitations, dans notre pudeur. Je regrette, je regrette les moments flous, les moments de tendresse, l’impossibilité d’admettre que nous étions trois, cette terrible morale biologique qui nous condamne à la bijection, à la symétrie. J’irais reconduire Vladimir pour son dernier repos dans son village natal, à deux mille huit cent quatorze kilomètres de Moscou, cinq mille trois cent quarante de Paris. Des heures et des heures devant moi, seul avec Vladimir qui ne parle pas, seul avec les souvenirs, l’alcool et la nostalgie, voilà tout ce qui reste, comme disait Tchekhov, seul avec des phrases, des vers, des souvenirs. Je vais me perdre au bout du monde, plonger dans la nuit sibérienne. »
L’alcool et la nostalgie est l’adaptation d’une fiction radiophonique de 100 minutes écrite dans le Transsibérien entre Moscou et Novossibirsk et diffusée par France Culture en juillet 2010. Dans ce petit livre au format original, qui se lit et qui mérite de se lire d’un seul trait, à peine quatre-vingts pages, facilement une nouvelle, se cache une qualité d’écriture exceptionnelle, Enard encore étonne par son talent gigantesque. Après Zone et Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, ce dernier ne fait que célébrer la grande diversité de l’auteur. Un maître de la prose.