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Hamid Skif : La géographie du danger

Par Gangoueus @lareus
Hamid Skif : La géographie du danger
Il y a quelques mois, je découvrais un texte d'Hamid Skif dans un ouvrage collectif africain produit dans le cadre du PANAF d'Alger. Ancrage africain. Le romancier algérien y proposait un texte drôle mettant en scène une bande d'écrivains africains raccompagnés en bus vers leurs différents pays, tout un programme. Au travers du regard du chauffeur de bus, algérien, Hamid Skif proposait une rencontre maîtrisée de deux mondes.
Dans La géographie du danger, l'univers du poète romancier est beaucoup plus sombre dans le texte que je viens d'évoquer et la construction de la trame beaucoup plus complexe. Le personnage central est un sans papier qui vit reclus dans une chambre de bonne d'où il observe la vie de son voisinage. Il est dans une ville européenne. Il vit terrer. Son lieu de vie est censé être inoccupé. Il y habite comme un fantôme hante un lieu, silencieusement de temps à autre il sort dans la rue, il attend d'être ravitaillé en vivres selon le bon vouloir de son logeur, un étudiant paumé. Il a peur de ses voisins, d'une dénonciation.
Le paradoxe de la situation s'exprime quand son esprit s'embrume par différentes voix et rencontres qu'il a faites dans sa vie antérieure, dans le pays d'avant qu'il a fui. Une fuite qui ressemble à celle de tous ces africains, arabes ou subsaharéens qui s'échouent à Lampadusa ou aux Canaries. Le livre a cinq ans, mais d'une extrême actualité. Ce qu'il fuit, c'est l'arbitraire, c'est la violence, c'est l'impossibilité de s'assumer, une vie enchaînée.
Maintenant, je rase les murs , me terre la nuit tombée, refuse les contacts, évite tout ce qui peut signaler mon existence dans la géographie des dangers : gares, ghettos d'immigrés, stations de métro, quartiers chauds, bars, sortie de de grands magasins, stades et dancings louches. Je n'existe pas pour les employeurs successifs ne cherchant à connaître ni identité ni rien d'autre de ma personne. Nous sommes quittes de cette mutuelle non-reconnaissance. Les patronymes que je m'attribue sont fonction de l'employeur. Je suis turc, arabe, berbère, iranien, , kurde, gitan, cubain,, bosniaque, albanais, roumain, tchétchène, mexicain, brésilien ou chilien au gré des nécessités. J'habite  les lieux de ma métamorphose. Les langues importent peu. Il suffit de connaître les mots du dictionnaire des esclaves : travail, pas travail, porter, laver, gratter, vider, charger, décharger, couper, casser, monter, nettoyer, démonter, peindre, clouer, arracher, repos, manger, payer, silence, se cacher, se taire, partir, venir, finir, ne plus revenir, combien?
page 15, éditions naïve. 
Le paradoxe que brosse Hamid Skif dans ce roman est que la condition du sans-papier semble aussi complexe, violente que les souvenirs qu'il évoque et qui constituent une sorte de miroir. Car il y a pas mal de flash-back dans ce roman qui requièrent de la part du lecteur une certaine vigilance car il y a polyphonies, ce n'est pas toujours notre personnage qui s'exprime. Un gigolo laisse une lettre. Un passeur de Tanger raconte son action, le pouvoir que cette dernière engendre, les coups bas pour éliminer les concurrents,  le traitement des clandestins. Son introspection le conduit à interroger sa lignée familiale, des conflits anciens, sa condition de leader d'une association de chômeurs. 
Écoutons dans ce concert de voix, celle d'un passeur :
Je connais le prix inqualifiable de la lâcheté. J'ai servi cette chienne aux canines acérées avec bonheur; je n'aime guère me donner des références, mais à ma manière, faisant de ma veulerie une obsession, la justifiant à coups de fines astuces sorties de mes sacs d'entourloupeur, je me suis tu chaque fois que l'un de mes amis se faisait enlever. Je n'ai pas apporté mon concours à aucune chicane, ni signé de déposition ou pris position. Les pétitions ce n'est pas mon genre. Il me suffisait de me taire pour les trahir, de fermer les yeux, de fuir dans le décompte quotidien de mes petites affaires. Dénonciateur et passeur, quel beau métier. Certains m'en ont voulu. D'autres, magnanimes, m'ont crédité de leur mépris. Je refuse d'être un rénégat. Je suis le passeur, symbole d'une conjoncture, représentant crédible de nouveaux négriers.
page 39, éd. Naïve
L'atmosphère de ce roman est pesante. Normal. Hamid Skif, lui-même exilé en Allemagne, se fait le porte parole de ces sans-papiers. Son écriture est influencée par son background fait de poésie.
Un très beau texte à découvrir.
Hamid Skif, La géographie du dangerEdition Naïve, première parution en 2006, 153 pages

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