Il n’y a pas que le Louvre et le Grand-Palais dans la vie ! Je vous invite à découvrir deux «petits» musées fort passionnants : le Musée de la Poste et le musée des lettres et manuscrits.
Mais tout d’abord faisons un petit distinguo entre l’art postal et l’art épistolaire.
L’Art Postal (ou Mail Art) ce sont les créations artistiques qui voyagent par la poste et qui utilisent les éléments de la correspondance : adresse, timbre etc …
L’art épistolaire quant à lui, a trait à la correspondance proprement dite.
Pour moi, il n’y a rien de plus intime, de plus affectueux qu’une lettre d’un(e) ami(e). Ne croyez pas que je sois passéiste ; j’adore le mail et je pense que l’on écrit et échange davantage aujourd’hui que lorsqu’il fallait prendre la plume. N’empêche, recevoir une lettre calligraphiée, estampillée, postée et parfois illustrée par un être cher, a quelque chose de très émouvant.
C’est d’ailleurs ce que devait penser Apollinaire lorsqu’il recevait les petits billets de son cher ami Picasso.
Vous voyez ici un exemple de GRAND art postal. Il faut dire que Picasso écrivait très mal le français et préférait envoyer de petits billets illustrés pour le plus grand plaisir de ses amis (sauf Max Jacob, un peu susceptible qui se plaignait de la prose sibylline de son ami catalan !).Autre exemple d’art postal, les adresses mises en poème par Mallarmé lorsqu’il écrivait à ses amis :
Les facteurs étaient semble-t-il amateurs de rimes car ils ont toujours retrouvé les destinataires !Le Musée de la poste propose régulièrement des expositions sur l’art postal et les lettres d’artistes. Mais l’art postal n’est pas réservé à une élite et c’est ce qui fait tout son charme. C’est un art populaire où l’on utilise toutes les techniques : peinture, collage, calligraphie, broderie… dans un esprit d’amitié et de bonne humeur.
C’est aussi le souffle de l’amitié que l’on retrouve dans les lettres de l’exposition «Des lettres et des peintres (Manet, Gaughin, Matisse)» qui a lieu en ce moment au musée des lettres et manuscrits. À travers la correspondance des plus grands peintres des deux derniers siècles, la petite histoire croise la grande.
On peut y lire notamment une lettre de Manet de novembre 1870, qu’il envoie à son élève Eva Gonzalès par ballon monté, et dans laquelle il témoigne de l’extrême dureté de la vie dans Paris assiégée : « beaucoup de poltrons sont partis, hélas, parmi nos amis, Zola, Fantin, etc. […]. Nous commençons à souffrir ici, on fait ses délices du cheval, l’âne est hors de prix il y a des boucheries de chiens de chats et rats – Paris est mortellement triste quand cela finira-t-il ».
Il y a aussi toutes les lettres remplies d’affection, d’espérances, ponctuées de dessins de Gauguin, Matisse, Delacroix, Dalí et les autres…
J’ai choisi de vous livrer cette merveilleuse lettre d’Arthur Rimbaud à Théodore de Banville . Elle n’est pas dans l’exposition mais je n’ai pas résisté à l’envie de vous la faire partager car elle se termine comme une ode à l’été et à ses plaisirs !
Mardi 24 mai 1870, Charleville
Rimbaud à Théodore de Banville
Charleville, (Ardennes), le 24 mai 1870
Á Monsieur Théodore de Banville.
Cher Maître,
Nous sommes aux mois d’amour ; j’ai presque dix-sept ans. L’âge des espérances et des chimères, comme on dit, – et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, – pardon si c’est banal, – à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes – moi j’appelle cela du printemps. Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, – et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur ; – c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, – puisque le poète est un Parnassien, – épris de la beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi, – c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin ?… Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris. – Anch’io, messieurs du journal, je serai Parnassien ! – Je ne sais ce que j’ai là… qui veut monter… – Je jure, cher maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.
Ne faîtes pas trop la moue en lisant ces vers : . . . . . Vous me rendriez fou de joie et d’espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens, . . . . . Je viendrais à la dernière série du Parnasse : cela ferait le Credo des poètes !… – Ambition ! ô Folle !
Arthur Rimbaud.
Par les beaux soirs d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue ;
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds :
Je laisserai le vent baigner ma tête nue…
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien…
Mais un amour immense entrera dans mon âme :
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, – heureux comme avec une femme !
20 avril 1870
A.R.
Et bien maintenant c’est à votre tour de prendre la plume et les ciseaux !
En cette période estivale, propice aux voyages et envois de cartes postales on peut à nouveau prendre le temps d’écrire de sa plus belle écriture. Un petit croquis, quelques lignes bien senties, deux trois collages sur une enveloppe agrémentée du plus beau timbre et … c’est la promesse d’un destinataire heureux !
Amitiés !
Votre dévouée Paulette.
Le musée des lettres et des manuscrits 222, boulevard Saint-Germain, 75007 PARIS L’exposition «Des lettres et des peintres (Manet, Gaughin, Matisse)» a lieu jusqu’au 28 aout 2011 http://www.museedeslettres.fr/public/exposition-affiche/1
Le Musée de la Poste est situé : 34 Bd de Vaugirard dans le 15e (à côté de la gare Montparnasse, ce qui est bon à savoir lorsque l’on a un peu de temps à tuer avant de prendre son train) http://www.ladressemuseedelaposte.com/
Arthur Rimbaud Correspondance édition établie par Jean-Jacques Lefrère Fayard