une célèbre histoire de Maupassant, revue par Balthazar

Publié le 04 juillet 2011 par Dubruel


MOUCHE

Nous étions quatre. Notre orgueil 

Etait de posséder à Argenteuil

Une chambre et notre barque à l’Envers.

Là, nous nous sommes amusés naguère

Comme nous ne le ferons jamais plus.

Il y avait là Poussez-repu.

Tomahawk, le plus spirituel.

N’a qu’un œil, portant monocle

Et daignant peu toucher aux pelles.

Moi, je fus baptisé Basocle.

Nous formions une équipe heureuse.

Un seul regret : l’absence de barreuse,

Indispensable sur une yole.

Une femme pimente, distrait, affriole.

Un samedi en soirée,

N’a qu’un œil, amena la personne désirée.

Mouche était vive, blagueuse,

Piquante et excellente barreuse.

Dès le lendemain, nous l’adoptions

Pour mille raisons.

Et très vite, nous l’aimâmes pour celle

Unique, humaine…la plus naturelle.

N’a qu’un œil l’embrassait devant nous,

L’asseyait sur ses genoux.

L’affaire fut facilement jaugée :

Mouche n’avait aucun préjugé.

Pourquoi eut-elle été fidèle ?

Les dames de la société le sont elles !

Elle trompa son amant

Avec nous trois. Gentiment,

On la laissait à N’a qu’un œil

A Argenteuil,

Des samedis aux lundis.

Nous en profitions des mardis

Aux vendredis, à Paris,

Ce qui pour des canotiers dissipés

N’était presque pas tromper !

Nous lui demandions :

« D’où vient ce surnom de Mouche ? »

Elle partait en mille inventions.

N’a qu’un œil ouvrit la bouche :

« Parce qu’elle papillonne

Et se pose sur toutes les charognes !»

Trois mois après

Mouche semblait désemparée,

Devenait nerveuse, irritable

Parfois même désagréable.

Sans cesse, on la questionnait :

« Qu’est-ce que tu as ? »

Elle répondait : 

« Rien. Laissez-moi. Ça va. 

Je suis enceinte.» Alors,

D’un commun accord,

Nous nous donnâmes la main

Et déclarâmes adopter le bambin.

Mouche s’écria : « Oh  mes amis !

A tous un grand merci ! »

Et depuis, elle nous appela

« Mes cinq papas »

Un jour, elle fit l’imprudence,

Comme si elle faisait un pas de danse,

De sauter à quai trop tôt

Avant même l’arrêt du bateau.

La téméraire aventurière  

Heurta le rebord de pierre,   

Glissa, hurla, et disparut dans l’eau.

Illico,

Nous plongeâmes

Et la repêchâmes.

Elle souffrait d’atroces douleurs.

La fausse couche dura des heures.

Elle supporta sans murmures

D’abominables tortures.

Emus de la voir tant souffrir

Nous lui avons dit sans sourire

-« Console-toi, petite amie,

Nous t’en ferons un autre. Promis. »