En revenant du colloque....

Publié le 04 juillet 2011 par Egea

Le colloque de vendredi dernier sur « Guerre et économie » a cherché à baliser des sentiers qui mènent de l’économie de guerre (traditionnelle) à la nouvelle guerre de l’économie : car il s’agissait d’appréhender comment ces deux mots, qu’on perçoit comme appartenant à des domaines différents, ont finalement beaucoup plus de choses en commun qu’il n’y paraît de prime abord, et que cette mixité est finalement plus importante aujourd’hui qu’hier.

Rendre compte d’un colloque est toujours délicat : soit on essaye de dégager des grandes tendances, soit on résume le propos de chaque intervenant. Nous sommes dimanche soir : je me contenterai de prendre ce qui m’a « frappé » chez chacun : cela ne signifie pas que c’est exhaustif, ni même forcément significatif, mais que c’est la pépite que je retiens de chacun, avec ma subjectivité, mes connaissances et mes ignorances. Bref, forcément subjectif. S’il y a une tendance commune, je la donnerai en fin.

Ainsi, Christian Schmidt nous apprend, au cours de son discours sur les crises actuelles, qu’il n’y a pas « une » crise bancaire mais la concomitance de crises bancaires nationales, la Grèce ayant peu à voir avec l’Irlande ou l’Espagne. Ainsi, la crise aggrave les singularités nationales ! Jacques Sapir, sur le même sujet rappelle que la mobilisation financière pour l’Irak, de 2005 à 2007, a été une des causes immédiates de la crise (cf. J. Stiglitz) : il précise aussitôt que la cause immédiate n’est pas la cause foncière, mais qu’à tout le moins, cela a été un déclencheur.

Florent de Saint-Victor propose une analyse dialectique de l’interopérabilité et de la norme, celle-ci pouvant servir à une stratégie d’accroissement de la puissance (entre alliés), parfois construite ex post. Olivier Marcotte, comparant les paires macro-micro et stratégique-tactique, montre que les deux champs d’analyse abordent les même facteurs (temps, espace, et les facteurs de production économiques qui correspondent aux forces militaires) et ne les traitent que par la maîtrise de l’information, via la boucle OODA.

François Chauvancy remarque que depuis le début, on évoque éventuellement le but de guerre (souvent politique), mais pas la notion d’intérêt, comme si c’était un gros mot : or, il est commun aussi bien à l’analyse économique qu’à l’analyse stratégique. GH Bricet des Vallons, examinant les différentes formes d’entrepreneuriat de guerre dans l’histoire (des condotta au système de Wallenstein), rappelle la vieille formule « der Krieg ernährt den Krieg » (la guerre nourrit la guerre). Stéphane Dossé, traitant des guerres low cost, rappelle les différentes pistes de baisse des coûts : privatisation, réserve, robotique, forces spéciales.

Christian Harbulot prenant l’exemple émergent des réseaux électriques intelligents, montre que l’initiative privée va confronter des niveaux différents de puissance publique, nationale ou locale. Ainsi, le triptyque Survie développement bien être, qui animé le monde depuis la sortie e la 2GM, est passé à un triptyque Marché/puissance/territoire. Bénédicte Tratnjek, traitant des lignes de fracture dans la ville en guerre, me fait penser que les classes identitaires (souvent ethniques) ont remplacé les classes sociales d’autrefois : une autre interprétation de la politique.

Jean Pujol rappelle la définition de la grande stratégie, par Liddell Hart : « Coordonner l’ensemble des ressources de la Nation au profit des méta-objectifs ». Il s’intéresse en conséquence sur les actions possibles d’un Etat stratège aujourd’hui. N. Bouzou m’apprend que contrairement à ce qu’on croit, le traité de Maastricht (art. 109), permet au conseil ECOFIN de donner des consignes de change à la BCE et qu’il l’a déjà fait deux fois (certes à la hausse) en 99 et 2000 : il est donc tout à fait concevable qu’il donne des consignes de baisse dans la guerre des changes actuelle.

Ali Laïdi monte que si le Japon, les Etats-Unis ou la France ont des stratégies de guerre économique, le niveau européen pêche par son absence totale de prise en compte de cette question. M. Anquez, évoquant les métaux rares, explique que finalement, le marché est efficient puisque c’est le marché qui a aboutit au monopole actuel, et c’est le marché qui va le casser d’ici quelques mois, avec le démarrage de capacités de production autonomes. S. Le Gourriellec évoquant la logique de la piraterie somalienne, démontre que les « compagnies de pirates » (j’aime cette expression) sont organisées par clans et sous-clans.

Edouard Chanot, décrivant la stratégie américaine de rétorsion des terres rares, dit que Washington va adopter un projet de loi préservant « la sécurité militaire et la vitalité économique » : cela me semble une belle définition de l’intérêt national que nous évoquions plus tôt. J. Hoggard évoque, avec force exemples, les combats de l’entreprise plongée dans la guerre économique, et prône la notion d’intelligence stratégique plus que celle d’intelligence économique. G. Tissier, enfin, montre qu’internet est devenue politique alors qu’à l’origine, elle était un espace privé et marchand. Il évoque l’apparition de « paradis informatiques » similaires aux paradis fiscaux.

Dans sa conclusion, Pierre Pascallon rappelle Kondratieff et pense que nous vivons le basculement à la deuxième phase descendante d’un grand cycle, de 2010 à 2030 : cette grande transition rappelle la précédente, celle des années 1930. Du coup, il s’interroge : existe-t-il une spécificité de la guerre économique ? existe-t-il a contrario un état de paix économique ? il termine par ces mots : « la tentation de la guerre est toujours présente dans la crise du capitalisme, comme l’orage dans la nuée » : c’est de Jaurès.

Pour ma part, je m’interroge sur les mots, communs aux deux vocabulaires, celui de l’économie comme celui de la guerre : intérêt, crise, risque, réseaux. J’ai l’impression qu’il faudrait, dorénavant, en mener une analyse comparée et que cela serait fructueux.

O. Kempf