En attendant l’ouverture des Rencontres de la Photographie à Arles, plutôt que l’élection de la Reine d’Arles ou l’écoute des potins du petit milieu photographique, je suis allé au Musée Réattu, lieu incontournable ici. Le rez-de-chaussée abrite (jusqu'au 16 octobre) une exposition de Charlotte Charbonnel, découverte à Jeune Création, puis revue à Bruxelles, et dont c’est la première consécration muséale. On l’avait connue passionnée par le son, et il y a ici aussi des Stéthosphères (ci-dessous), globes transparents qu’on manipule doucement et dont, ensemble, on écoute les bruissements, et aussi des cloches de verre se faisant l’écho des bruits environnants. Mais loin de se limiter au son (et de se retrouver reléguée dans la Chambre d’écoute du Musée, où, étendu sur des coussins confortables, on somnole en écoutant des sons étranges ; actuellement Zwölfzungen d’Alessandro Bosetti), Charlotte Charbonnel est avant tout une aventurière, une exploratrice, une expérimentatrice qui transforme son interrogation du monde en art.
Si sa vidéo solaire m’a moins convaincu, j’ai découvert avec délectation son nouveau travail sur le magnétisme. La maquette
d’une pièce qui s’annonce colossale est présentée ici, colonne blanche avec en son milieu une chambre vitrée où la limaille de fer crée des formes hérissées, des germinations magiques (Colosseum, en haut). A côté, une machinerie à chaîne de vélo entraîne une sculpture horizontale de limaille aimantée, qui ne tient que par le magnétisme (Resonarium, ci-contre) : sur le plancher les minuscules grains de limaille dessinent des cartes improbables, des animaux chimériques, des rêves nuageux. Quelques-uns ont été fixés et mis au mur, limailles fossilisées, dessins magiques. Dans cette grotte obscure, la démiurge Charbonnel affronte les forces tectoniques, les mystères de la matière, et c’est très beau, fascinant et un peu inquiétant. Le reste du Musée présente dans chaque salle des correspondances entre une œuvre classique (dont de nombreux tableaux de Réattu) et des pièces contemporaines ; bien des correspondances sont trop littérales, trop évidentes pour séduire, même si c’est toujours un plaisir, parmi d'autres, de revoir une à une les 27 photographies d’eau de Das Feld, de Dieter Appelt, toutes semblables et toutes différentes. En écho aux lèvres charnues et légèrement humides d’un portrait de Vouet, Mélina Jaouen présente une vidéo étonnante, Barroco : un visage trop noir pour être honnête, couvert de cirage ou d’huile, des dents gâtées, des lèvres d’un rose indécent dévorant un collier de perles blanches de pacotille, l’avalant et le rejetant, dans un geste sensuel et primal. Ça n’a peut-être pas la portée de la croix émergeant de la bouche de Zoulikha Bouabdellah, ni la candeur de la perle roulant sur les lèvres de Halida Boughriet, c’est un geste plus sauvage, plus cruel, plus baroque, plus violemment érotique aussi, au point que parfois le regard se trouble, l’image se floute, la bouche et les perles disparaissent dans un brouillard pudique. Belle découverte.Comme quoi il n’y a pas que les Rencontres de la photographie à Arles. Je vous invite à lire le blog de la journaliste photo du Monde, Claire Guillot, ouvert à l'occasion des Rencontres, vous y apprendrez sûrement beaucoup de choses et vous pourrez confronter nos regards (pas coordonnés pour un sou).
Photos de l'auteur, excepté Appelt.