Ce blog est consacré à la philosophie de la non-dualité.
La non-dualité caractérise essentiellement l'Advaita-Vedanta, le Shivaïsme du Cachemire, le bouddhisme Mahayana et le Dzogchen.
Mais y a-t-il un non-dualisme dans le christianisme ? Et en particulier existe-t-il un non-dualisme entre l'âme et Dieu?
Voici un texte de Jean Tauler (1300-1361) interessant :
"Ici l'âme devient pleinement semblable à Dieu, pareille à Dieu, divine. Elle devient, par grâce, tout ce que Dieu est par nature, étroitement unie à Dieu, plongée en Dieu, elle est élevée en Dieu au-dessus d'elle-même. Elle a si bien l'apparence de Dieu que, si elle se voyait, elle se prendrait pour Dieu même ; ou bien encore, à celui qui la verrait, elle paraîtrait avoir le vêtement, la couleur, la forme et l'être de Dieu, ayant tout cela par grâce, et cette vision le béatifierait, car Dieu et l'âme ne font plus qu'un en cette union, d'une unité de grâce et non pas de nature." Jean Tauler [sermon 37.]
Tauler nous dit ici que l'âme est unie à Dieu par la grâce, mais non pas en nature. Autrement dit, l'âme ne devient pas Dieu ; elle est créée et reste en essence distincte du créateur. En revanche il y une non-dualité de grâce, d'amour.
Dans un autre texte, il utilise la métaphore de l'air et du soleil. L'air éclairé par le soleil est semblable au soleil, mais il n'est pas lui.
"Mais Dieu Lui-même n'est-il pas un vrai cercle, immense et interminable qui enferme en Lui, comme un point, l'esprit de l'homme pourtant très vaste, puisque dans sa compréhension (naturelle) il fait plus qu'embrasser le ciel et la terre ? Cependant cet esprit comparé à l'immensité incompréhensible de Dieu est tellement petit et étroit, qu'à peine s'il compte pour quelque chose. Voilà pourquoi cet esprit se plonge de nouveau ici dans son néant ; encore cependant que son essence créée se maintienne toujours. Ce n'est que dans ce transport, dans cette élévation qu'il se liquéfie et s'écoule dans l'incompréhensible et immense clarté de la Divinité infinie. Il lui est uni d'une manière plus intime et plus ineffable que l'air pur lui-même n'est uni à la lumière du soleil lorsque celui-ci darde ses rayons, en plein midi. Or, bien que la splendeur du soleil et l'air qu'il illumine soient unis sans le moindre intermédiaire, est-ce que la splendeur solaire prive l'air de sa nature et de son essence ? Non, certes, mais elle l'épure, elle l'éclaire, elle l'ennoblit, elle le transforme. Il en est de même, en toute vérité, pour l'esprit de l'homme. En Dieu, cet esprit est merveilleusement éclairé, il est ennobli, il est transformé dans la ressemblance pleinement conforme à la Divinité, mais cependant, dans ce sublime voisinage de Dieu, dans ce rapprochement intime, il ne perd jamais son essence créée. Car enfin il rend gloire à Dieu, il confesse que son essence créée a tiré son origine de l'essence incréée et divine ; il confesse que cette essence qui est la sienne a été faite de rien, et qu'elle est sortie de Dieu par une sorte de propulsion naturelle, comme elle doit rentrer en Dieu par une impulsion surnaturelle." Le livre des Amis de Dieu, Jean tauler, Arfuyen, 2011
Je ne prétends pas que ce texte donne la position de tout le christianisme sur la non-dualité mais il me semble que c'est là plutôt l'orthodoxie : union de grâce mais dualisme des substances.
On verra ce qu'il en est dans d'autres textes plus audacieux comme ceux de Maitre Eckhart par exemple.
Il se peut aussi que Tauler n'ait pas osé écrire sur un non-dualisme absolu qu'il expérimentait peut-être ; la peur de l'inquisition et des condamnations est présente. N'oublions pas que des propositions d'Eckhart furent jugées hérétiques.
jlr