Comment se débarrasser des idées zombies ?
Nous venons d’entrer dans les deux mois les plus dangereux en politique : comme les gens sont plus ou moins partis en vacances, les politiciens vont se déchaîner pour faire passer toutes leurs lubies. Et c’est donc l’occasion pour eux de ressortir les idées mortes toujours un peu vivantes. Avec la crise grecque, ils ont trouvé judicieux de ressortir la taxe Tobin.
Ah, la taxe Tobin !
Si elle n’existait pas, on aurait un zombie de moins à regarder déambuler dans les couloirs feutrés des gouvernements.
Et à propos d’attaque zombie, revenons à l’une des sources de cette brillante idée : ATTAC, ce groupement interlope de gauchistes assumés, altercomprenants de l’économie où la fine fleur du marxisme et du collectivisme s’est rassemblée pour se disputer régulièrement dans des comités de directions gentiment staliniens et proposer des brochettes d’idées toutes plus mortes et faisandées les unes que les autres.
Car oui, malgré la perte massive d’adhérents, les bisbilles ridicules et médiatiques et les fraudes manifestes dans les votes, l’association visant à la taxation des transactions financières continue à répandre ses recettes ultimes pour un monde forcément meilleur.
Et de fil en aiguille, entre l’approche des élections et la situation générale de crise qui instille ce petit sentiment de peur dans le cœur de tous, la taxe Tobin revient donc sur le devant de la scène, propulsée par une Commission Européenne douteusement heureuse de la proposer.
Avant d’aller plus loin, revenons calmement sur ce que proposait Tobin au départ, au début des années 70 (quand on vous dit que c’est une vieille idée) : il s’agissait de taxer toutes les transactions financières, à hauteur d’un petit pourcent, histoire d’empêcher la vilaine spéculation de court terme, et, comme effet secondaire désirable, favoriser l’émergence de monnaies mondiales comme l’Euro.
Pour les politiciens, l’idée d’une nouvelle taxe est déjà une aubaine : slurp, de l’argent frais ! Et comme Tobin est prix Nobel d’économie, elle est ainsi adoubé du sceau de la réflexion longuement menée, ce qui permettrait presque de convaincre ceux qui vont devoir l’acquitter.
Je dis presque, parce que certains économistes (y compris degoche), sentent bien que cette taxe ne va en réalité rien résoudre du tout. Les raisons varient, mais en substance, dès lors qu’un pays ou un ensemble de pays ne joue pas le jeu et décide de ne pas appliquer cette taxe, il devient immédiatement un puissant aimant pour des transactions non taxées, comme un paradis fiscal, mais en beaucoup plus alléchant puisque les sommes dont on parle ici sont plusieurs ordres de magnitude supérieures.
En gros, pour qu’elle puisse réellement fonctionner, il faut que tous les pays s’y mettent. On comprend que ça n’est pas gagné d’emblée. Il faut aussi que chaque transaction soit parfaitement transparente, parfaitement traçable (ce qui enquiquine au moins autant les politiciens que les autres, pour le coup). Là encore, le frein est grand.
Et puis, si taxer quelque chose permettait de résoudre des problèmes sans en créer de nouveaux au moins aussi encombrants, ça se saurait, depuis le temps.
L’idée, comme tout zombie, a donc erré entre des soutiens plus ou moins affichés, des déclarations politiques d’intentions pleines de volontarisme, et des réalisations prudemment inexistantes.
Mais voilà : comme je le disais plus haut, la crise a permis de faire avancer un peu le principe général d’une taxation financière pour les tenants d’une Union Européenne bien particulière. Les frétillants voleurs de gauche habituels, toujours heureux d’aller voler dans la poche des autres ce qu’ils sont incapables de produire dans la leur, se sont jetés à pied joints sur l’idée de la Commission, la salive montant déjà à leurs babines à l’idée des prochains repas plantureux qu’ils pourront faire avec les finances ainsi récupérées…
Il n’est dès lors pas étonnant de retrouver toujours les mêmes qui poussent à l’instauration d’une nouvelle ponction : cette Europe là, ils en veulent, ils en redemandent bruyamment.Parce que cette Europe là, c’est une Europe de plus en plus indépendante des gouvernements nationaux, et donc de plus en plus imposante, de plus en plus éloignées de ces ennuyeux citoyens. Certes, ils sont faciles à manipuler lorsqu’il s’agit, en bons démagos, d’aller cogner sur « les riches » ; en d’autres temps, on les appelaient les cosmopolites, puis les juifs. On a remplacé les races par les classes, mais les jalousies et les convoitises sont les mêmes. Les arguments politiques ne changeront donc pas.
Mais ces mêmes citoyens comprennent aussi assez vite que toutes ces taxes ne modifient pas leur niveau de vie en bien, que du contraire. Ces mêmes citoyens devant lesquels on doit, zut de flûte, revenir tous les quatre ou cinq ans pour demander le droit de continuer à faire le bien malgré eux, ces mêmes citoyens réclament parfois des comptes !
Ils veulent voir, ces fats, où passe l’argent. Ils veulent comprendre pourquoi tout ce fric est injecté pour sauver des banques qui ont fait n’importe quoi. Ces avortons gênants questionnent les plans de relance ! Ils n’aiment pas l’inflation ! Ils n’aiment pas les impôts qui aident les plus démunis qui sont — bizarrement — de plus en plus nombreux alors que les aides et les démarches pour les faire disparaître sont de plus en plus abondantes !
Bref : puisqu’on ne peut pas changer le peuple aussi facilement qu’on le voudrait, le mieux est de ne pas lui demander son avis. Et l’Europe, dans ce cas là, est très pratique.
Et puis, « Taxe sur les Transactions Financières », cela ne fait jamais mal : après tout, le citoyen lambda, il ne fait pas de « transactions financières ». Lui, il a une poignée de SICAV, un petit compte épargne, un livret ou deux garantis par l’Etat, rien de bien méchant. Oh, certes, les banques, avec cette nouvelle taxe, vont lui sucrer quelques euros supplémentaires, tous les mois (eh oui : frais de gestion, mon brave), parce qu’après tout, les taxes sont toujours répercutées sur le dernier maillon de la chaîne, le consommateur.
Mais bon : à ce moment là, le politicien sera déjà parti avec le butin. Les élections seront passées, les montants seront tant dilués qu’ils ne feront presque pas mal aux moutontribuables.
Et puis, une taxe de plus parmi les centaines qui s’additionnent, ça ne se voit quasiment pas, hein…
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