C'est une première pour ce blog ! Après bientôt deux ans d'existence, je vous propose un entretien avec un jeune auteur, Aude Alix Manioc, qui a publié en 2010 son premier roman, (Parenthèses) ? Encore inconnu du grand public, ce jeune homme, originaire de la Guadeloupe aime se consacrer à l'écriture, la littérature étant avant tout pour lui un passe-temps. C'est en recherchant un emploi dans le secteur pour lequel il a été formé qu'il se retrouve à écrire.
Société des Ecrivains, 228 pages
Un jeune étudiant de vingt et ans, originaire de la Caraïbe, arrive sur le continent européen, à Bordeaux, loin des siens, pour suivre un master d'économie à l'université. L'avenir et le monde s'offrent à lui quand, en novembre 1999, une tumeur au cerveau coupe dans son élan celui qui se croit alors invulnérable. Incertain sur sa survie et ses capacités post-opératoires, de la salle de réanimation de l'hôpital de Pellegrin, au centre de rééducation de Gassie, cet apprentissage sévère lui apprend à reconsidérer sa propre existence...
Cette histoire m'a particulièrement touché. Au-delà du sujet sensible du handicap et de la différence, j'ai pu noter une belle plume, une construction et un style limpide qui font de ce premier roman un livre touchant. J'ai voulu savoir comment Alix Manioc avait conçu et écrit ce récit ; il a eu la gentillesse de me répondre au cours du mois de juin. J'espère que cet entretien vous donnera envie de découvrir ce roman.
Pouvez-vous vous présenter et nous en dire plus à votre sujet ?
Comment me présenter ? Je suis né en janvier 1978 à Pointe-à-Pitre, j'ai donc trente-trois ans aujourd'hui. Je suis venu au monde dans une famille recomposée et j'ai assisté à des choses délicates mais pas plus qu'à la moyenne des individus... j'espère ! J'ai été heureux sur mon île et au cours des années que j'ai passé avec ma famille là-bas. Timide dans mon enfance, je doutais de moi, de mes capacités et parlais peu. Aujourd'hui je parle, je parle beaucoup... trop peut-être. Ca me détend, je trouve ainsi le moyen de combler le vide que j'ai la sensation d'avoir en moi. Je dirai simplement que je suis un type normal qui a une vie comme tout le monde mais qui en profite à fond. Je crée les aventures que je raconte. La vie est la plus grande aventure que l'on puisse vivre, alors cessons de nous mettre des bâtons dans les roues et vivons !
Comment en vient-on à se lancer dans l'écriture ? Pourriez-vous expliquer votre cheminement ?
Ecrire a toujours été une passion. Que ce soit des petits mots au collège ou des chroniques plus longues, j'ai toujours aimé l'idée de cocher des sentiments sur le papier. Je n'ai pas vraiment choisi d'écrire ce roman. En fait, cela s'est imposé à moi lorsque j'étais encore dans le centre de rééducation. Je voulais garder une trace de cette aventure pour que je n'oublie rien.
Votre premier roman, comment le définiriez-vous ? "Tout le monde a une vie passionnante, c'est la façon de la voir et de la raconter qui peut la rendre intéressante", que voulez-vous transmettre au monde en général, au lecteur en particulier ?
Lorsque j'étais plus jeune, je trouvais que chaque livre avait une morale ou un message d'espoir à transmettre. J'aimerais que ceux qui liront ce livre se posent la question : "Et moi qu'aurais-je fait ?" Actuellement, je remarque que les gens ne connaissent plus leurs voisins. Il y a un recul important de la notion de coopération et d'entraide. Je ne sais pas si je vais réussir à redonner aux gens cette envie de connaître son voisin mais... on ne peut demander aux gens de faire quelque chose sans le faire soi même. Je me suis exposé dans ce roman mais j'ai aussi voulu exposer ces gens qu'on ne voit jamais et qui sont des héros.
Comment qualifieriez-vous ce héros ?
Ce héros est profondément humain. Il doute, il craque, fait des erreurs mais refuse de laisser la fatalité conduire sa vie.
J'ai constaté que les femmes, à des degrés divers, étaient très présentes dans votre histoire. Quel rapport entretenez-vous avec celles-ci ?
Je ne sais pas comment, ni pourquoi, mais j'ai toujours eu des rapports plus vrais avec les femmes. C'est assez étrange car pour beaucoup, les rapports entre les deux genres sont principalement d'ordre sexuel. J'aime les femmes mais j'apprécie et trouve bénéfique une présence féminine amicale, on s'enrichit de nos différences.
J'ai ressenti une certaine fluidité dans le texte. Avez-vous passé beaucoup de temps à le rédiger ou, au contraire, l'avez-vous écrit dans une certaine douleur ? N'avez-vous pas craint la page blanche ?
J'ai envie de répondre non mais je ne pense pas que ce serait la bonne réponse. J'avais mes études à finaliser en même temps, alors je n'ai pas pu aller aussi vite que je l'aurai souhaité dans les corrections et les retouches. Mais si on considère uniquement la trame principale du roman, alors je peux dire effectivement que cela a été rapide.
Etes-vous partisan d'une écriture du premier jet ou retravaillez-vous beaucoup vos textes ?
Entre les deux (sourire de l'auteur). L'inspiration, l'émotion du premier jet, cela ne se travaille pas. Certes, cela peut être un peu brut et manquer de finesse mais c'est la base du travail recherché : raconter une histoire. Par la suite, il faut impérativement lire, relire et encore relire pour apporter des améliorations. Je dis bien "améliorations" car il ne faut pas changer son idée première.
Pourquoi avoir choisi ce titre : Parenthèses ?
En fait, le titre m'est apparu comme évident lorsque j'écrivais la fin de ce premier épisode. J'avais cherché longtemps un titre mais c'est ce petit mot, quelques lignes avant le point final, qui le résumait le mieux. J'avais le début (le 1er novembre 1999) et la fin (le 31 mars 2000). L'histoire était délimitée mais permettait de comprendre le changement car on voyait un "avant". La fin, elle demeurait ouverte. C'est la raison du point d'interrogation. Nous avons tous des parenthèses dans nos vies mais il est assez marrant de voir que ces intermèdes ne sont jamais réellement clos.
On rit souvent et on est aussi très ému, en particulier la dernière partie qui donne à la fois le ton et toute la force de cette histoire. Il s'en dégage une réelle sensibilité lorsque vous nous parlez de votre voisine de chambre Linda, cette jeune adolescente de 14 ans que vous côtoyez et qui a encore la force et la combativité pour profiter de la vie malgré sa maladie incurable. Je vous cite : "Un grand pouvoir entraîne une grande responsabilité", pouvez-vous expliquer aux lecteurs ce "grand pouvoir"?
Le pouvoir dont je parle est simplement la capacité que l'on a d'être un exemple pour quelqu'un. Je ne dis pas que je suis un exemple... loin de là mais pour tous ceux qui sont morts suite à cette opération délicate, pour les médecins qui m'ont sauvé, je ne peux pas, je ne dois pas abandonner. Des gens ont cru en moi, ont prié pour moi et surtout ont passé du temps à veiller sur moi. Je ne peux pas me permettre de briser leur croyance. L'énergie qu'ils ont investi en moi, le temps qu'ils m'ont accordé, tout cela est un pouvoir. Je ne veux pas trahir mes proches et les gens qui m'aiment. Aussi, c'est une grande responsabilité que de toujours faire au mieux, dans le sens de l'honnêteté envers eux et moi.
Dans votre roman autobiographique, vous faites une distinction importante entre le personnage d'Alix et celui d'Aude. Sont-ils interchangeables ? Sont-ils si différents ?
C'est une question étrange mais je me la pose depuis peu. Qui suis-je aujourd'hui ? Aude ou Alix... Au départ, il s'agissait juste d'une idée pratique pour ne pas laisser les autres se moquer de moi en me disant que j'avais un prénom féminin. Puis, j'ai vu dans cette idée la possibilité d'être tout ce que Aude n'avait pas été. Mais en réalité, Alix est tout simplement Aude... en plus vieux ! Quelquefois on m'appelle Aude, parfois Alix. Mais je ne change pas ce que je suis. Je suis aussi bien habitué à être appelé Aude ou Alix. Le jeu du départ m'a complètement dépassé puisque même mon employeur pense que mon premier prénom est Alix, tout comme ma banque ou l'administration fiscale... Je dirai tout simplement que je suis fier d'être Aude et Alix.
Qu'aimeriez-vous que l'on retienne surtout de votre premier roman ?
J'aimerais que ceux qui lisent ce roman puissent sourire, rire et peut-être pleurer. Je voudrais qu'on retienne mon style et ma façon de raconter. A une époque où la télévision semble éradiquer le livre, j'aimerais que ceux qui lisent cette histoire puissent le comparer à une série télévisuelle !
A ce propos, on constate effectivement qu'à l'heure de l'internet et des téléphones portables, la jeune génération n'est plus trop attirée par la lecture. Qu'en pensez-vous ?
Plutôt que de faire croire que ce n'est pas bien, je vais dire le contraire : c'est très, très, très bien. Pourquoi ? Car celui qui ne lit pas, celui qui tend les mains au ciel pour abreuver son esprit alors, lorsqu'il devra se faire sa propre nourriture, il improvisera en fonction de ce qu'il aime. On a tellement sacralisé le style d'écriture des Hugo, Rabelais et autres, qu'on oublie que, au début, leur propre style n'était pas forcément apprécié. L'écriture, tout comme la cuisine, l'alimentation, doit évoluer. Après, ce n'est qu'une question de technique, de pratique mais si la flamme est là, alors rien ne pourra l'éteindre. Aujourd'hui, on parle de cuisine moléculaire, pourtant celle-ci n'existait pas avant. Tout a été inventé en fonction de goûts et des techniques. L'évolution est dans tous les domaines, même celui de l'écriture. Ce sujet me tient à coeur car moi, le rustre qui lisait des bandes dessinées, je suis maintenant un jeune écrivain. Par conséquent, si la flamme existe, elle brûlera et rien ne pourra l'en empêcher. On peut imiter mais pas créer cette flamme et pour cela que le feu demeure au côté de la lampe... (sourire de l'auteur)
C'est une belle façon de voir les choses ; l'internet est aussi un outil formidable. Depuis quelques années, on voit fleurir une multitude de blogs de lectures qui sont entretenus par des lecteurs passionnés, lesquels émettent des avis sur les livres qu'ils ont lus. Que pensez-vous de ces blogs ?
Encore une fois, je suis un jeune écrivain. Mais je comprends les peurs de certains face aux nouvelles avancées. Que ceux qui aiment les livres s'approprient ces supports pour communiquer leurs envies : comment puis-je leur en vouloir ? Mieux, je suis pour mais je sais que si on n'avait pas nourri Mozart ou Beethoven, certains domaines culturels seraient bien pauvres. Nous devons nous responsabiliser. Laisser libre court à nos élans de liberté sans pour autant imposer nos points de vu aux autres. Car dans ce cas, nous serions à l'origine d'une forme de dictature.
Je ne pense pas qu'il s'agisse de "peurs" mais plutôt l'envie de faire partager ses livres. Les blogs de lectures ont l'avantage de promouvoir à nouveau la lecture. Ils ont d'ailleurs un tel succès que les éditeurs ont été amenés à réagir rapidement. Ces derniers sont à juste titre très attentifs à tous les billets qui vantent ou mettent à mal leurs dernières publications. Les blogs de lectures deviennent une sorte de baromètre critique sur telle ou telle publication. Ne redoutez-vous pas un jour une mauvaise critique de votre roman sur un blog par exemple ? Comment l'interpréteriez-vous ?
Une mauvaise critique ? c'est possible (sourire de l'auteur). Non sérieusement, c'est possible et une mauvaise critique me coulerait probablement. Mais une critique même mauvaise voudrait dire que mon livre a été lu... et ça c'est super ! Je ne suis pas insensible... Je n'aimerais pas une mauvaise critique mais c'est le jeu, non ? Dès lors que j'ai écrit ce livre, que ce livre soit édité, des mauvaises critiques sont possibles. En outre, j'en ai eu de certains lecteurs mais j'ai continué. Car je suis trop têtu pour ne pas essayer de réaliser mes rêves (sourire de l'auteur). J'espère que s'il existe de mauvaises critiques - et forcément il y en aura...-, je souhaite qu'elles soient constructives et me donneront la possibilité de m'améliorer car, encore une fois, je suis un jeune écrivain.
Concernant l'intérêt des éditeurs, ils ont raison ! Les musiciens se servent de ce vecteur, pourquoi par les lecteurs et le marché littéraire ?
Quels sont vos projets d'écriture ? Quel sera le prochain thème de votre roman ?
Les pistes sont nombreuses mais je pense rester dans une veine que j'aime : le roman humain.
Vous voulez dire que vous avez un nouveau roman en préparation ?
J'ai des projets pleins la tête. le plus beau d'entre eux est sans aucun doute "Jour de chance". Mais en dire plus actuellement serait précipité et imprudent. J'aime surprendre les gens et me surprendre...
Envisagez-vous une carrière d'écrivain ?
Une carrière d'écrivain ? Mais qu'est ce que c'est ? J'aime écrire et raconter mais je trouve mon inspiration dans la vie et dans le contact avec autrui. Si je deviens un écrivain derrière un bureau, j'aurai peur de perdre mon lien avec les autres.
Auriez-vous quelques conseils à donner aux jeunes ou aux moins jeunes qui voudraient se lancer dans l'écriture ?
Un jeune écrivain qui voudrait vivre de sa passion devrait savoir trois choses à mon humble avis : la première, écrire ce n'est pas un métier au sens où on l'entend. C'est avant tout une passion, une flamme qui brûle en nous. Ceci est important pour le deuxième point. Si cela ne marche pas, ce n'est pas parce que vous êtes mauvais mais peut-être seriez-vous meilleur à une autre forme d'expression. Enfin, ne vous reposez pas uniquement sur ce secteur à vos débuts. Très souvent, la gloire et la fortune d'un écrivain viennent bien après. Je leur dirai de se diversifier, du moins au début.
Etes-vous un grand lecteur ? Quel genre de lecteur êtes-vous ? Qu'aimez-vous lire ?
Je dois admettre que mes lectures préférées ne sont pas considérées comme de la "grande littérature". Pourtant, je pense que la bande dessinée est une forme littéraire à part entière. Toutefois, je lis aussi des livres plus classiques qui sont nombreux chez moi. Je suis en fin de compte un lecteur qui apprécie les modes d'informations modernes. Ainsi je zappe et je cherche à me faire plaisir en lisant. Tous les sentiments sont importants et je privilégie la bonne humeur et le rire
Quels sont précisément vos auteurs favoris ? Ceux qui vous ont marqué ? Et lisez-vous d'ailleurs des auteurs issus des îles de la Guadeloupe et de la Martinique ?
Ceux qui m'ont le plus marqué sans sans conteste Maryse Condé et Maupassant.
Lisez-vous des auteurs créoles ? pouvez-vous en citer quelques-uns qui vous émeuvent en particulier ?
Je lis bien sûr des auteurs de ces îles. Il y a souvent dans leurs textes une vision et une façon de raconter qui se perpétue encore aujourd'hui. Ces auteurs qui me touchent, il y en a beaucoup... Je ne voudrais pas en vexer certains, je préfère botter en touche !
Pouvez-vous nous donner une phrase qui vous tient à coeur, en créole guadeloupéen ?
Oui, c'est le titre de mon premier chapitre : PATI, PA RIVE, qui signifie partir n'est pas arrivé.
Une lecture récente à nous faire partager ?
Un livre que j'ai lu au salon du livre de Bruxelles : Comme l'oiseau de Philippe Tesseyre. Ce livre m'a happé de la première à la dernière page car il racontait un personnage décalé, étrange mais affreusement bien dans notre monde de fous ; le plus fou n'est pas celui qu'on croit !
Pour conclure cet entretien, quel message souhaiteriez-vous faire passer ?
Ne jamais abandonner !
Je remercie chaleureusement Alix Manioc d'avoir eu la patience et pris le temps de répondre à mes questions.