Ce jeudi 30 juin 2011, le Sénat a donc définitivement voté le texte de la proposition de loi déposée par Christian Jacob, tendant "visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique". Analyse d'un texte, aussi court que compliqué.
Le dossier législatif et le texte de la "petite loi" en attente de promulgation peuvent être consultés sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Le fond et la forme
Les parlementaires que j'ai pu rencontrer, de droite comme de gauche, opposés ou favorables à cette loi, sont généralement assez réservés sur la qualité juridique de ce texte. Il conviendra d'en tirer l'enseignement et d'étudier la capacité du législateur a intervenir en situation de crise sans "abîmer" le droit. Cette observation ne vaut que pour la forme du texte, non le fond.
Du point de vue formel, le texte est en effet compliqué. Cette complexité caractérise grand nombre des dernières lois mais aussi décrets publiés au Journal officiel. Les causes sont désormais bien identifiées grâce notamment aux excellents travaux du Conseil d'Etat sur la qualité de la loi. Les textes sont en effet rédigés rapidement et les moyens sont parfois définis alors que les objectifs qu'ils doivent permettre d'atteindre ne le sont pas encore clairement.
Tel est bien le cas ici. L'objectif de la proposition de loi déposée par Christian Jacob a lui-même varié au cours d'un débat parlementaire trés court et organisé alors que les rapports destinés à éclairer le législateur n'avaient pas encore été présentés. A l'origine, la proposition de loi était destinée à interdire tout recours à la fracturation hydraulique. Cette interdiction générale et absolue a ensuite été associée à une dérogation pour permettre une "expérimentation scientifique" encadrée et contrôlée par une commission spécialement mise en place à cet effet.
Le texte est donc un texte de compromis entre différentes sensibilités qui se sont exprimées, parfois vivement.
Pas de saisine du Conseil constitutionnel
L'opposition a finalement décidé de ne pas saisir le Conseil consitutionnel aprés l'avoir pourtant annoncé. Le motif en est sans doute que le risque de déclaration d'inconstitutionnalité était, selon elle, élevé et que les auteurs de la saisine auraient alors pu être "accusés" d'être à l'origine d'un retour à l'autorisation de la fracturation hydraulique. Même si la loi est critiquée, il n'en demeure pas moins que les opposants aux gaz de schiste espérent qu'elle permettra de prévenir des forages susceptibles de porter atteinte à la qualité des eaux et de l'environnement.
Il est toutefois étrange que le Conseil constitutionnel n'est pas été saisi. De deux choses l'une. Soit ce texte porte atteinte aux principes, droits et libertés protégés par la Constitution et le Conseil constitutionnel devait être saisi, soit tel n'est pas le cas. Il semble exister ici une certaine incohérence argumentaire.
La fracturation hydraulique est-elle interdite ?
Globalement oui mais la réponse est un peu compliquée. A priori, à s'en tenir aux termes du seul article premier 1er de la loi, tout recours à cette technique est interdit sur le territoire national, sans qu'aucune dérogation ne soit possible.
L'article 1er de la petite loi précise désormais :
"En application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national".
Première observation : le texte pourrait être mieux écrit - notamment en ce qui concerne la double référence à la Charte de l'environnement et au principe de prévention.
Deuxième observation : à lire ce seul article 1er, la technique de fracturation hydraulique de la roche, pour la recherche ou l'exploitation d'hydrocarbures liquides ou gazeux est désormais clairement interdite, sans dérogation possible au nom d'une éventuelle expérimentation scientifique par exemple.
Une interdiction ? Oui mais... Si l'article 1er semble clairement interdire la fracturation hydraulique sur le territoire national, la lecture combinée des articles 1, 2 et 4 introduit une dérogation. Il semble alors que la fracturation soit interdite, sauf lorsqu'il s'agit d'une "expérimentation scientifique". La fracturation hydraulique serait donc autorisée dans ce cadre précis.
En effet, l'article 2 de la loi précise :
"Il est créé une Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.
Elle a notamment pour objet d'évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives.
Elle émet un avis public sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues à l'article 4."
Si la fracturation hydraulique est interdite à l'article 1er, le législateur met en place à l'article 2 une commission chargée d'étudier les risques liés à cette technique qui serait finalement autorisée, à titre d'expérimentation scientifique, à l'article 4.
Plusieurs questions se posent.
En premier lieu, qu'est ce qu'une "expérimentation scientifique" ? Dans quel cas précis une fracturation hydraulique - en principe interdite - peut-elle désormais être réalisée ?
En second lieu, qu'est ce qu'une "fracturation hydraulique" ? La loi ne précise pas la définition de cette expression et ne renvoie ni à un brevet, ni à une classification, ni à un risque en particulier. Dés lors, il est tout à fait possible qu'une controverse puisse naître sur le recours ou non à une technique qui, en droit, est encore assez imprécise.
Une nouvelle commission. Plutôt que de réformer complètement la gouvernance de l'activité minière, le législateur a préféré créé une nouvelle commission dont l'objet est précis.
Cette commission aura principalement pour vocation de procéder à encadrer "l'expérimentation scientifique" de la fracturation hydraulique ce qui permet également de penser que la fracturation hydraulique sera donc possible dans ce cadre et sous le contrôle, non seulement de l'administration mais également de cette commission. Un double système de contrôle et de commande est donc mis en place.
Que deviennent les permis exclusifs de recherche accordés ?
L'article 3 de la "petite loi" dispose :
"I. – Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public.
II. – Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.
III. – Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés.
IV. – Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende".
Ainsi
1° Deux mois aprés promulgation de la loi, les bénéficiaires des PER doivent remettre un rapport "précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches".
2° Le rapport est rendu public par l'autorité administrative.
3° L'administration est tenue d'abroger les permis si les rapports correspondants font état du recours effectif ou éventuel.
Une procédure compliquée...
Il y a fort à parier que le rapport qui sera ainsi remis par les titulaires de PER sera identique à celui qu'ils ont remis à l'administration pour obtenir lesdits permis. Leurs juristes ne leur conseilleront sans doute pas de modifier leurs déclarations. Si le rapport à remettre dans deux mois diffère du dossier de demande de permis remis il y a plusieurs mois, les industriels pourraient être immédiatement accusés d'avoir dissimulé des informations et d'avoir commis une fraude. A l'exception, peut être, de permis délivrés pour lesquels le Juge aura déjà tranché sur le recours ou non à la fracturation hydraulique, le doute sur le recours à la fracturation sera permis et l'abrogation sans doute prononcée.
Reste qu'une confusion demeure entre le permis exclusif de recherches et l'autorisation d'ouverture de travaux, qui , s'agissant d'hydrocarbures non conventionnels, est en réalité une simple déclaration.
En effet, le PER n'a pas pour objet d'autoriser un forage en particulier et donc de décrire par le menu une technique de forage telle la fracturation hydraulique. Dans cette affaire, il aurait été sans doute plus simple de revenir de mettre en place un mécanisme qui permette de revenir, dans le respect du contradictoire, sur les déclarations réalisées et de prévenir de nouvelles déclarations pour des forages suivis de fracturation.
Toutefois, la création d'un tel mécanisme suppose une réforme plus profonde de la législation minière. Tel sera l'objet du projet de loi portant ratification de l'ordonnance relative à la partie législative du code minier.
Des recours ?
Des recours ne sont pas certains. Les bénéficiaire des permis exclusifs de recherche concernés par la procédure d'abrogation mise en place par cette loi n'auront sans doute pas intérêt à former des recours pour solliciter l'indemnisation du préjudice né de l'abrogation de leurs permis.