Magazine Société
Van Eyck, "Les époux Arnolfini"
Velasquez, "Les ménines"
D'abord le mensonge: l'intimité est factice à un tel point que l'auteur de l'image comme ses acteurs mettent en scène l'art du faux.Mais quand l'image ment, elle exhibe du même coup toute la construction de ce mensonge. Bien sûr, si l'on s'attache à ce qui est représenté, une scène de baiser nous est donnée à voir: une scène de cinéma comme un clin d'oeil à Grace, comme si le temps passé devait ici se coaguler dans un hors-temps. Mais les acteurs sont mauvais et, malgré ces tonalités d'or et de pastel, le prince est absent; la princesse, loin de s'abandonner, est crispée dans son refus de regarder. Tous les deux ne communiquent que par les yeux clos. Le baiser est à peine simulé, il dérape. Ce qui devait être au coeur de l'image est absent.La brutalité de la mise en scène nie aussi la représentation: Le cadrage est tellement serré que le couple princier se trouve coincé comme dans une cage étouffante que les lignes horizontales et verticales du fond renforcent. Les barreaux d'une prison dorée.
Il y a surtout à droite, dans la pénombre, l'intrus, le voyeur qui se cache derrière son objectif. Un rappel du cinéma et des mythes d'Hollywood? Sans doute. Mais aussi la violence du viol de l'intimité et cette façon de nous inclure dans l'événement: Le photographe, en réalité, ne saisit pas cette scène mais vise le spectateur qui la contemple. Derrière l'appareil, c'est l'auto portrait du voyeur. Jeux de miroir. Qui est qui? Et dans ce contrechamp, le spectateur est manifestement la cible.Où est alors le pouvoir?Ainsi le photographe renoue-t-il avec Velazquez dans ses Ménines. Même position de l'artiste vis à vis d'une scène représentée comme impossible. Même jeu de pouvoir entre lui, nous et ce qu'il est censé montrer. Il y a aussi ce rappel des époux Arnolfini de Van Eyck, ce miroir qui prolonge la scène et qui exhibe l'arrière plan. Ce miroir où se trouve le peintre et que reprendra Vélazquez. Tout se joue dans cette triangulation.Regarde-toi dans cette image. Tu en es à la fois l'auteur et la victime.