Il y a quelque chose de sobre et de subtil dans la musique de Papercuts, quelque chose d’apaisant, un peu comme cette vieille boîte à chaussures qui renferme les vieux clichés jaunis que l’on aime redécouvrir quand le temps nous semble glisser trop vite. C’est pourquoi j’ai douté, ce mardi 15 juin, de pouvoir retrouver cette sensation de nostalgie bienheureuse dans une Flèche d’Or pleine à craquer où l’entassement des corps imbibés d’alcool rendait l’atmosphère lourde et moite, sûrement plus oppressante que l’enfer lui-même.
C’est donc dans cette foutue fournaise que Jason Quever, l’homme derrière Papercuts, et ses musiciens ont investi la scène à pas feutrés, comme par peur de déranger la foule suante et impatiente. What’s the French word for oven? Un peu timide et gauche, Quever s’est adressé à la masse humaine par ces mots à peine audibles, recoiffant d’un geste obsessionnel une mèche de cheveux collée à son front perlant, avant de gratter, les yeux à demi fermés, les premières notes de Do What You Will sur sa guitare, retrouvant alors dans son monde à lui la confiance qui lui manquait face à nous, les autres à moitié ivres. Les quatre gars enchaîneront un savant mélange de titres issus de Fading Parade, dernier album en date sorti chez Sub Pop, mais ils iront aussi piocher dans un répertoire plus ancien, puisque l’air de rien, Quever a commencé à mettre en musique ses rêveries solitaires il y a déjà 7 ans.
Sa pop en clair-obscur, bercée par la douce vague de l’orgue, l’écho, la réverb’ envoûtante et une ligne de guitare dépouillée, semblait littéralement flotter au-dessus de nos têtes tandis que sa voix légère, presque aérienne, comme égarée dans le profond brouillard de San Francisco dont il est originaire, caressait nos tympans. La mélodie, teintée d’une certaine nostalgie californienne à la Beach Boys, étrangement familière, s’est docilement insinuée jusqu’à nos cerveaux brumeux afin d’y réveiller de vieux souvenirs délavés qui nous feront doucement planer. On se surprendra même parfois à sourire bêtement. Mais ce soir là, Fading Parade, petit bijou lo-fi, ni trop effacé ni tape-à-l’oeil, traînait parfois un peu des pieds. Et dans le four qu’était la Flèche, Papercuts portait bien son nom : ses réverbérations dansantes nous piquèrent juste assez pour atteindre les bas-fonds de nos esprits nébuleux, mais malheureusement pas suffisamment pour nous pénétrer jusqu’aux tripes. Si Quever prenait conscience de son propre talent (et que la Flèche d’Or se décidait à installer l’air conditionné), on frôlerait sans doute l’instant magique recherché…