Opernfestspiele: création mondiale de Make no noise de Miroslav Srnka

Publié le 02 juillet 2011 par Luc-Henri Roger @munichandco

Le pavillon 21

Le festival d'Opéra s'est ouvert avec la création  de  Make no noise, le premier opéra de Miroslav Srnka, au Pavillon 21. Ce pavillon érigé sur la Marstallplatz pour y accueillir des oeuvres alternatives ou de créations contemporaines pendant le Festival d'opéra de Munich peut accueillir 200 personnes.   L'oeuvre a d'emblée rencontré un énorme succès et on peut déjà imaginer qu'elle  comptera parmi les oeuvres importantes de l'opéra du 21ème siècle. Avec quatre représentations, seuls 800 privilégiés auront eu l'occasion de vivre ce moment d'exception.Après le spectacle, le public a eu l'occasion de rencontrer les maîtres d'oeuvre: Miroslav Srnka, le compositeur, Christopher Ward qui dirigeait l'orchestre, Matthew Lutton, le metteur en scène, et les protagonistes, Laura Tatulescu qui venait d'interpréter le rôle de Hanna et Holger Falk qui avait incarné le personnage de Joseph. Ecouter cette équipe évoquer sa passion de l'ouvrage, saisir des bribes de la genèse de l'oeuvre, de la conception musicale aux modalités des rencontres entre les personnes qui ont oeuvré de concert à la mise sur pied de cette production, c'était comme d'être invité à se pencher sur le berceau d'un nouveau né en compagnie de sa famille, et c'est un immense privilège. Et de se rendre compte de l'immense travail que nécessite la conception et la création d'un nouvel opéra.
Dans le passé, les compositeurs se basaient souvent sur un récit dont ils avaient entendu parler et qu'ils avaientpu lire dans un livre. Miroslav Srnka a expliqué qu'il n'a pas le temps de lire des livres, mais bien de voir des films et que le jour où il eut l'occasion de regarder The secret Life of Words de la cinéaste Isabelle Coixet, il sut aussitôt qu'il tenait là le sujet d'un opéra. On le sait, les relations entre le cinéma et l'opéra se sont beaucoup développées ces dernières années, de nombreux grands réalisateurs cinématographiques ont porté l'opéra à l'écran, de plus en plus de cinémas servent de chambres d'écho pour des opéras qu'ils diffusent en live. Et inversément, des oeuvres cinématographiques sont, comme c'est le cas ici, portées à l'opéra.
Le Festival d'opéra de Munich a bien fait les choses: le film de la réalisatrice catalane est diffusé parallèlement à l'opéra au musée du film (Filmmuseum, au Stadtmuseum, le musée de la ville de Munich). La réalisatrice a fait le voyage, et après la projection, une rencontre avec le public est là aussi proposée. Un réseau de communication est installé dont on peut espérer qu'il fera connaître le travail tant de la réalisatrice que du compositeur. Contenu narratif
L'opéra raconte l’histoire d’Hanna, une jeune femme solitaire, cloisonnée dans son mystère, qui prodigue des soins à Joseph, un homme grièvement blessé lors de l’incendie d’une plate-forme pétrolière. Le blessé porte la responsabilité de la mort de son meilleur ami qui a péri dans l’incendie de la plate-forme. Tant Hanna que Joseph  se murent dans le silence, c’est le moyen qu’ils ont trouvé pour vivre avec leur passé douloureux. Leur rencontre sur la plate-forme désertée, ils la percevront progressivement comme une porte de sortie, comme un chemin vers la guérison.
On entre ici dans un monde de douleurs surdimensionnées dans lequel les cicatrices physiques et la surdité de Hanna ou les brûlures profondes et la cécité de Joseph, leur incapacité à communiquer,   ne sont qu'un pâle reflet de traumatismes psychiques d'une nature telle que même les thérapeutes n'approchent qu'avec d'infinies précautions.
L'action se déroule sur quatre lieux:  une fabrique, une plate-forme pétrolière, un centre de réhabilitation, un appartement. L'unité est assurée par un décor unique composé de chaises aux joints goudronnés et d'un évier muni de robinets.Dans la première partie, Hanna travaille dans une fabrique, son travail et sa ponctualité sont appréciés, mais son attitude hypertendue, son absence de communication et sa surdité mettent mal à l'aise les autres travailleurs Elle porte un sonotone qu'elle coupe fréquemment et s'isole dans la routine de gestes toujours répétés. Un travailleur la harcèle et lui donne à entendre qu'elle sera bientôt licenciée. Il attire son attention sur une offre d'emploi: on cherche une infirmière pour aller travailler sur une plate-forme pétrolière. Arrive le directeur doucereux de la fabrique qui lui signifie hypocritement son licenciement. Hanna qui a été infirmière téléphone et postule avec difficulté pour la place proposée.

Hanna a été retenue pour le poste d'infirmière et se trouve sur une plate-forme pétrolière désertée suite à un incendie avec un blessé intransportable et un cuisinier. Simon, le cuisinier, ne prépare que des repas italiens pour Joseph. Il s'agit d'une vengeance: le cuisinier qui tient Joseph pour responsable de la mort de son ami italien, qui a péri dans l'incendie. Hanna fouille dans le sac de Joseph et  découvre une lettre de rupture: la femme de l'Italien avait été la maîtresse de Joseph et met fin à leur relation. Très en colère, elle jette la lettre à la figure de Joseph. Un quatrième personnage se trouve sur la plate-forme, Martin, un savant autiste. Hanna apprend de sa bouche que l'Italien s'est en fait suicidé dans l'incendie lorsqu'il a appris la relation adultère entre sa femme et Joseph. Alors qu'elle lave Joseph, Hanna lui raconte l'histoire d'une amie qui a été violée par une bande de soldats et torturée, ils lui ont estafilé les seins et le dos et versé du sel dans ses blessures. Il n'y a bien sûr pas d'amie, c'est Hanna qui a été la victime de ces atrocités. Elle ouvre sa blouse et montre son dos et sa poitrine.
Jospeh est presque guéri, Hanna quitte l'île. Par la suite, Joseph mettre tout en oeuvre pour retrouver son infirmière et trouve le chemin d'un centre de réhabilitation pour personnes gravement traumatisées. La thérapeute d'Hanna hésite mais finit par autoriser la rencontre.
Dans la quatrième partie Hanna et Joseph partagent un appartement. Ils se sentent heureux de pouvoir le soir être assis côte à côte.
Le compositeur
 

Mirsolav Srnka


Miroslav Srnka est né à Prague en 1975, où il fait ses premières études musicales, des études qu'il poursuivra ensuite à Berlin et Paris. Ses oeuvres ont été montées notamment par le Quattuor Arditi,  l'Ensemble Modern et la Ostravskà Banda. Le Staatsoper de Berlin monte son opéra Wall en 2005. En 2007 il a été retenu par le Jerwood Opera writing program à Alderburgh. En 2009, Srnka obtient un prix d'encouragement à la création de la Fondation Ernst von Siemens, qui décerne chaque année un 'Nobel' de la musique.
http://www.srnka.cz/
La production munichoise
Le livret a été confié à l'auteur de pièces de théâtre australien Tom Holloway qui a effectué un travail très sobre d'une dizaine de pages seulement. Des répliques courtes, avec un vocabulaire extrêmement simple et dépouillé, un minimalisme qui atteint la perfection. Au détour des mots prononcés avec difficulté par des personnages qui ne savent plus communiquer on rentre dans l'univers de leur douleur sans fond et on parvient à décoder leur histoire. Il est rare qu'un livret soit aussi magistral. It's a tale full of sound and fury, racontée intelligemment comme au détour du langage, et lourde de signification.
L'orchestre est disposé dans deux cages de verre disposées de part et d'autre de la scène au centre de laquelle s'alignent une série de chaise. Peut-on voir dans cette disposition scénique une extension de la tête d'Hanna?  Les cages de verre de l'orchestre sont-elles la métaphore de l'appareil acoustique d'Hanna? Et les chaises qu'elle ordonne minutieusement puis brise avec une violence inouie les unes après les autres le symbole d'un cerveau qui se raccroche à un ordonnancement minutieux mais est en fait complètement perturbé par d'atroces traumatismes? Toujours est-il que des stores américains occultent soudain complètemement  les cages de verre lorsque Hanna coupe son sonotone.  A la fin du spectacle ne subsistent que deux chaises dont on sait qu'elles ne pourront plus être brisées et qui reçoivent les coeurs et les corps tant soit peu apaisés de Joseph et d'Hanna.
L'orchestre est encagé et confiné, comme comprimé dans ses cages de verre, ce qui peut contribuer à l'impression d'une grande oppression mentale. Ce choix de mise en scène n'est pas sans poser de difficultés au chef d'orchestre qui est enfermé dans la cage de droite et ne peut communiquer avec les chanteurs et la seconde partie de l'orchestre que par un système d'écrans videos. On imagine facilement les difficultés d'oreille que cela lui pose, et il faut toute la complicité et l'intelligence de l'Ensemble Modern pour conduire à bien la partie.
La mise en scène exige un travail dramatique intense de la part de artistes, spécialement des deux protagonistes. Laura Tatulescu fait preuve d'une concentration peu commune dans l'interprétation du personnage d'Hanna et sait parfaitement incarner cette personnalité si violemment traumatisée qui a dû se couper du monde pour survivre. Elle parvient à nous entrainer dans cet univers de douleur intense, de mutisme et de surdité, et se révèle une grande comédienne. C'est d'autant plus remarquable qu'ici, on n'a plus la distance de la fosse d'orchestre, le pblic est quasi en contact physique avec les chanteurs. A ses côtés Holger Falk campe un Joseph convaincant, plus sobre dans l'expression, avec de belles subtilités dans son jeu d'acteur. Le travail sur la voix de ces deux artistes à qui l'on demande d'interpréter la difficulté de l'expression est exceptionnel. Mentionnons encore la belle interprétation de Kevin Conners qui occupe deux rôles secondaires avec une grande présence scénique et une voix sonore et puissante, au timbre magnifique.
La gageure d'évoquer des douleurs muettes et renfermées sur elles-mêmes par la création d'un environnement sonore a été magistralement relevée par le jeune compositeur. Les bruitages évoquent l'environnement acoustique du monde industriel de la fabrique et du monde maritime et métallique de la plate-forme pétrolière. La musique est déchirée, déchiquetée comme les âmes et les corps des personnages profondément traumatisés. La chant reproduit l'effort quasi imposssible de bouches qui éructent à grand peine quelques sons begayés. La musique est déchirante, on est atteint au plus profond de son être, tant ces sons nous mettent en communication avec l'âme des protagonistes. Cette musique nous transforme et nous force à davantage d'humanité.
Rendez-vous
On peut encore assister à l'opéra ce soir au Pavillon 21 à 18H (quelques places restantes) et/ou voir le film d'Isabel Coixet au Filmmuseum demain soir à 21H. La projection est suivie d'une rencontre avec la réalisatric et le compositeur de l'opéra.