La Pologne, qui, à Venise, avait eu l'audace d'inviter une artiste non polonaise dans son pavillon (Yael Bartana), présidant ce semestre l'Union Européenne, a 'droit', à Bozar (à Bruxelles, jusqu'au 18 septembre) à une exposition supposée emblématique d'une trentaine de ses artistes contemporains les plus importants (plus quelques modernes, pour faire bon poids). Comme dans toute manifestation de ce type, il n'est pas aisé de trouver un fil directeur cohérent : la liberté ? la survie ? l'ironie ? l'imagination rebelle ? le rapport à l'histoire ? et toutes les explications trop inclusives ont un peu l'air tirées par les cheveux. Mais, faute de connaître suffisamment la scène polonaise pour juger de la pertinence des choix d'artistes, c'est une bonne occasion de découverte.
Sinon, l'immeuble HLM en crochet de Julita Wojcik joue sur le contraste, les cosmonautes de Pavel Althamer marchent vers leur destin, les déesses froides de Zofia Kulik suscitent l'admiration et la trompette du jugement dernier de Tadeusz Kantor la nostalgie; l'impossible tentative vitruvienne de Cezary Bodzianowski est d'un humour tragique (très polonais, peut-être), les photographies allégoriques de foule-Solidarnocz de Piotr Uklanski oscillent entre ferveur et désespoir et la gigantesque photographie concave de Zbigniew Libera dépeint un exode devant la guerre ou la catastrophe.
La pièce la plus dure, la plus tragique de l'exposition, la plus chargée d'histoire aussi peut-être, est une vidéo d'Artur Zmijewski, Berek (1999; le jeu du loup) : un pestiféré, un contaminé qui se libère de sa souillure en touchant un autre, en lui transmettant l'opprobre, la tache (mais, disent les règles, on ne peut toucher son père). Ils sont une demi-douzaine, dans une cave sombre, humide, glauque; ils sont nus, pas très beaux, flasques, chairs tombantes, corps vieillis. Sont-ils forcés, enfermés, prisonniers ? Le cinéaste les y a-t-il contraints ? D'abord gênés, pudiques, ils et elles s'animent, s'amusent, rient parfois, prenant goût au jeu. On apprend à la fin que la scène se déroule dans la chambre à gaz d'un camp d'extermination : les taches jaunes au mur sont des traces de zyklon B. Pour Zmijewski, c'est une sorte de psychothérapie, il faut revisiter les traumas qui ont été à l'origine des problèmes. Il l'avait fait avec 80064, soulevant la controverse par sa manière de reconstituer l'histoire hors des sentiers battus mémoriels. Artiste engagé, il veut créer des images qui provoquent le désaccord, le choc; ce que d'autres verraient comme provocation est pour lui l'essence même de la démocratie, du refus des idées toutes faites. Dérangeant et salutaire.Photos 1, 3 & 4 de l'auteur; photos 2 & 5 courtoisie de Bozar.