Rappelons les conclusion du célèbre article de Garrett Hardin publié dans la revue américaine « Science » en 1968 qui décrit comment un pâturage communal est inévitablement détruit dès lors que chaque propriétaire de troupeaux a un intérêt a le surpaturer avant que ne le fasse un autre pasteur. Pour éviter cette tragédie, deux solutions sont possibles : soit réglementer, soit attribuer des droits de propriété lorsque cela est physiquement et socialement possible.
En matière d’eau agricole, la France a choisi la voie de la réglementation, et tout semble indiquer que les résultats ne sont pas au rendez-vous : conflits, surexploitation, pénurie. En effet au lieu de conférer des droits de propriété sur l’eau souterraine, la réglementation octroie des autorisations de prélèvement, assortie d’une redevance en fonction de la capacité des aquifères.
Ceci suppose : d’abord de connaître la ressource, c’est-à-dire le fonctionnement de chaque aquifère, tâche très difficile en l’état des connaissances et des techniques ; ensuite de connaître les prélèvements par chacun des pompages sur chaque aquifère.
Or, malgré la réglementation, on sait que les déclarations ne correspondent pas, et de loin, à la réalité. Autrement dit la gestion administrative de l’eau souterraine est guidée par une double incertitude et, dans ces conditions, la « ruine est la destination finale ».
Pourtant une autre voie est possible : la définition de droits de propriété permettant la mise en place d’un marché.
En effet dès lors qu’apparaît un déséquilibre entre offre et demande pour une ressource économique et/ou environnementale, la meilleure solution passe par sa valorisation car
« l’absence de prix conduit les gens à se comporter comme si la valeur des services livrés par le patrimoine naturel était nulle. Parfois la puissance publique intervient au travers de redevances ou de prix administrés. Mais ils sont souvent fixés de façon arbitraire à des niveaux très bas » (P. Point).
Aujourd’hui le comportement de chaque agriculteur rationnel est de pomper toute l’eau dont il a besoin… si possible avant que ses voisins n’en fassent autant. Il serait dès lors étonnant que l’on n’assiste pas à une baisse du niveau, puis à l’assèchement de la nappe, compromettant ainsi le débit des cours d’eau et les droit des autres utilisateurs (pêcheurs, association de protection…).
Compte tenu de la nature des aquifères, il existe une solution de propriété en commun permettant la pérennité de la ressource, celle de la « propriété commune » pour laquelle Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d’économie en 2009.
Il s’agit pour un petit groupe d’ayant droits de s’entendre sur les modalités de prélèvement sur l’aquifère et de définir les droits et obligations de chacun dans le respect des conditions environnementales, économiques et sociales de la communauté locale. En outre il est possible de vendre les droits d’eau.
Certes ces institutions ne sont pas simples à mettre en place, mais elles ont traversé les siècles et continuent à le faire dans de nombreux pays pour les eaux de surface. Si le pompage introduit un bouleversement technologique, les institutions traditionnelles peuvent inspirer les réformes. Ce qui est certain c’est qu’en l’absence de mécanisme de prix et en situation de quasi-libre accès la sécheresse sera de plus en fréquente. Il est temps que le législateur substitue le principe de réalité à l’idéologie, la démagogie et l’ignorance.
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Note
Ce problème est traité dans l’ouvrage collectif « Droits de propriété, économie et environnement : les ressources en eau», Falque et Massenet, (Dalloz, 2000, 507 p.) et notamment dans l’article de N. Kosciusko-Morizet, V. Richard et H. Lamotte « Que peut-on attendre de la mise en place des quotas individuels échangeables de prélèvement sur la ressource en eau en France ? L’exemple de l’agriculture irriguée »
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(*) Max Falque anime l’ICREI (International Center for Research on Environmental Issues) qui, dans le cadre de la faculté d’économie appliquée d’Aix en Provence, organise tous les deux ans un grand colloque sur les politiques environnementales.
Ce texte a été publié originellement dans La Tribune du 31 mai 2011 et sur le site de l’Institut Turgot.