Passer en revue : NRG

Publié le 02 juillet 2011 par Egea

Egéa soutient l’écrit, vous l’aurez remarqué : d’ailleurs, égéa est un blog écrit, même si sa publication emprunte des médias nouveaux. Il reste que je demeure attaché à l’imprimé, forme traditionnelle d’écrit, avec ses défauts (lourdeur) et son immense avantage (souplesse et, surtout, surtout, possibilité de lire avec un crayon, d’annoter, souligner, noter, barrer, corner : le papier est quand même une matière fabuleuse pour la pensée, et l’encre électronique ne me paraît pas encore offrir la même possibilité.

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Voici pourquoi il me semble urgent de soutenir toutes les revues stratégiques imprimées. Ne nous y trompons pas, elles sont toutes en difficulté plus ou moins prononcées, à cause justement de la concurrence d’internet. Mais internet n’est pas tout et ces revues doivent s’adapter, ce que montre l’actualité éditoriale de ces derniers mois : DSI a été une remarquable innovation éditoriale, la RDN a accompli ces quelques derniers mois de remarquables évolutions qui l’éloignent de l’image empesée qu’elle avait, le mensuel Guerres et histoire vient d’être lancé (avec d’ailleurs un numéro 2 qui offre un dossier « Barbarrossa »).

C’est pourquoi je suis heureux de signaler la sortie de Géopolitique. Ou plus exactement, de la Nouvelle Revue Géopolitique qui va rapidement devenir, pour le public, la NRG.

Nouvelle ? En effet, « Géopolitique » était la revue qu’anima longtemps Marie-France Garaud, fondatrice de l’institut international de géopolitique, femme politique engagée et un des piliers du souverainisme. C’était une revue qui avait trouvé son public, et qui était diffusée en kiosque, avec des signatures souvent prestigieuses. La revue arrivait à son terme, car MF Garaud ne souhait plus poursuivre. Une nouvelle équipe a décidé de poursuivre l’aventure, mais en changeant beaucoup de choses : la maquette (format plus réduit, mise en page aérée) mais aussi la ligne éditoriale qui est moins souverainiste et qui se veut prospective (seule façon, selon l’éditeur, de correspondre au rythme trimestriel), et un prix accessible de dix euros, ce qui n’est pas cher pour un trimestriel. La numérotation change, avec un numéro 1 qui est en même temps le 133, afin de marquer l’évolution, et la continuité.

Un premier dossier sur la Turquie, incluant un entretien avec Alexandre Adler (l’homme demeure intéressant, même si l’on peut trouver qu’il a beaucoup d’audience médiatique), et qui viendra en utile contrepoint de l’ouvrage que j’avais signalé.

J’ai lu avec la plus grande attention l’article de Jeremy Ghez, l’éditeur, pétri de culture américaine, qui s’interroge sur l’utilité de l’OTAN. On appréciera la distinction qu’il fait de l’objet militaire de l’alliance et de son objet politique, qui est celui qui l’intéresse vraiment et qui lui paraît le plus prometteur. On regrettera en revanche qu’il aille jusqu’à évoquer « la pertinence d’une éventuelle réforme de l’organisation, quasiment inchangée depuis la guerre froide », propos pour le moins approximatif : je ne saurai trop lui conseiller d’acheter très rapidement l’OTAN au 21ème siècle qui explique, en plus de 500 pages, que si l’alliance existe encore aujourd’hui, c’est justement parce qu’elle n’a cessé de se réformer depuis vingt ans.

Il reste que l’auteur s’intéresse à l’avenir : il est ainsi intéressant de mentionner le débat sur « l’alliance des démocraties » qui aurait cours actuellement outre Atlantique, même si je n’y vois qu’une resucée d’un débat plus ancien sur la « Global Nato », l’alliance globale qui portait déjà ce projet il y a cinq ans. Mais je perçois là une sorte d’intuition qui mérite d’être discutée : au fond, dans le grand basculement du monde, l’Alliance (politique) servirait à réunir les deux rives dans une compétition contre l’émergence. Cette vue recouvre certes des relents intellectuels de guerre froide, la reproduction d’un « schéma » bipolaire qui est facile pour l’esprit, même s’il n’est pas forcément pertinent. On peut en effet tout à fait considérer qu’il y a une sorte de condominium en train de se mettre en place (le G2) et que l’Europe aurait intérêt à construire un axe Paris Berlin Moscou pour l’équilibrer.

Mais là n’est pas l’objet de l’article : en effet, j’approuve tout à fait cette constatation : « le seul phénomène que les Européens détestent plus qu’une Amérique unilatérale et impériale est une Amérique repliée sur elle-même et isolationniste ». Et plus loin : « ce malaise est également le résultat de la crainte des Européens que leur mission accomplie, les Etats-Unis seraient, plus que jamais, tentés par le repli stratégique ».

En fait, le positionnement stratégique de l’Europe constitue une question stratégique urgente. En cela, je rejoins J. Ghez même si je ne suis pas d’accord avec toutes ses hypothèses ou ses conclusions : à tout le moins, l’OTAN pose la question non seulement de ce qu’est l’Occident dans la réalité stratégique contemporaine, mais aussi des fins stratégiques de l’Europe, question tout aussi fondamentale. C’est un des mérites de cet article que de poser la question et de tenter, de bonne foi, d’y répondre : en cela, il va à l’essentiel et contribue heureusement au débat stratégique.

Souhaitons donc à la NRG le même destin que la NRF, illustre devancière qui ne la précède que d’une lettre. Encouragez-les (elle est distribuée en relais H dans les gares). J’attends le numéro de rentrée sur les surprises stratégiques qui éveille, déjà, toute ma curiosité.

Réf : ici

O. Kempf