Pas moyen d’échapper au phénomène Karkwa ces derniers jours. Après avoir « pris la Bastille » à l’occasion de la fête de la musique et ouvert pour Arcade Fire au Zénith, la formation montréalaise se produisait mercredi à la Maroquinerie dans le cadre d’une « Fête du Canada » qui semblait décidément avoir gagné tout Paris.Passés les sets de Jimmy Hunt et de Blues Rodeo (ah, ce son country des Amériques…) la présentatrice québécoise annonce LE groupe de rock alternatif canadien, comme si les U2 eux-mêmes allaient débarquer sur scène. Pas de doute, elle explose littéralement de fierté comme jamais un frenchie n’oserait le faire, sauf à devoir répondre derechef d’une accusation de manque aigu de professionnalisme. C’est donc un vent de fraîcheur qui souffle d’entrée sur ce haut temple d’un certain parisianisme (lequel est plus souvent, on le sait, subtilement retenu), augurant d’une soirée différente de l’ordinaire en capitale, à commencer par les habituels clichés, balayés d’un revers classieux de la main. Oui, on peut faire du rock anglo-saxon chanté en français, oui, on peut avoir un impossible tarin et être le parfait leader d’un groupe, oui enfin, on gagne à exprimer sans réserve son enthousiasme sans se soucier de ceux qui finissent par tuer le naturel à force de rechercher le ridicule partout. Avant même de parler musique, c’est donc une sorte de choc culturel qui frappe, ce même choc ressenti par tous ceux qui, ayant un jour laissé derrière eux l’Hexagone, ont eu l’opportunité de vivre un peu en Amérique du nord.Le groupe joue depuis plus de dix ans et pour la troisième fois déjà à la Maroquinerie. Pourtant il se comporte, dans ses interventions et dans rapports avec le public, comme un groupe amateur ou au moins, débutant. Ne pas se méprendre : il s’agit là un compliment. Cette simplicité dans la relation, cette facilité à ne pas surjouer mais à rester soi même, cette fluidité qui créé le lien en une seconde, même pour une formation que l’on voit pour la toute première fois, sont bluffantes. Rien ne semble calculé, tout contribue à cette impression de se retrouver en face d’un groupe de potes qui jouent ensemble pour le fun et pour des amis dont le public ferait partie. Très vite, le chanteur plaisante sur les problèmes techniques qui avaient marqué leur dernier passage juste avant de … casser une corde. Rires dans la salle, alors qu’il préfère poursuivre sa chanson sans changer de guitare pour ne pas en briser la magie.Car c’est bien de magie dont il s’agit, dès qu’on entre dans le monde-musique de Karkwa. A l’exact opposé du sentiment de « bon pote amateur », c’est au contraire l’évidente capacité du quintet à se hisser d’emblée au panthéon des plus grands groupes qui s’impose dès les tous premiers titres. Portée par des harmonies vocales souvent éblouissantes, la musique est atmosphérique et rock, planante en diable. Le clavier habité crée des ambiances aériennes revenues d’un âge oublié, celui où Talk Talk nous embarquait dans sa bulle pour ne plus nous lâcher. La batterie se double de percussions qui ramènent aux rythmes indiens pour mieux conduire les crescendos de la transe, sans jamais tomber dans les affres de la cacophonie. La guitare réussit le tour de force d’adoucir une saturation à la My Bloody Valentine derrière un son nouveau, plus apaisé, qui le sublime sans le masquer. L’ingéniosité mélodique est là aussi, c’est de plus en plus évident à mesure que les titres s’enchainent et que l’on sait déjà qu’on les retiendra. Les arrangements sont aussi raffinés que créatifs, de ceux que ne renieraient pas Animal Collective, alors que chacune des chansons possède une structure qui lui permettrait en même temps d’être interprétée très simplement, à la seule guitare folk. Les chœurs et les instruments se mêlent pour des constructions pyramidales superbes d’intensité, jusqu’à ce que naisse l’émotion. Quant à la voix, elle est parfaitement maîtrisée et se fait tour à tour chuchotée ou puissamment belle, comme seul un chant lyrique qui n’en aurait pas les défauts pourrait s’en prévaloir. Et que dire, pour finir, du très joli dernier titre, sinon qu’intitulé Le Vrai bonheur et repris en communion par une salle conquise, il doit s’approcher de très près de la perfection en matière de final, tellement qu’on le fredonnera encore longtemps après dans les rues de Paris puis dans le métro, sur le chemin du retour…Au total, c’est plutôt un carton plein, à condition toutefois de franchir la barrière du couple textes singuliers en français / accent québécois qui focalise sur lui l’attention au détriment de la musique. Un comble, il est vrai.Le groupe, finalement, semble être passé par une sorte de laboratoire expérimental pour tirer la substantifique moëlle d’éléments qui ne convenaient pas dans leur état brut, tout en en conservant l’essentiel et la force. Ainsi il faut être particulièrement brillant pour aligner deux batteries sans le bruit qui devrait en résulter, faire du rock sans rugosité mais sans mièvrerie non plus, de la variété mais avec des textes hyper travaillés, du lyrisme sans grossière emphase, ou encore déployer une puissance live qui resterait agréable à l’oreille des plus mélomanes. A ce niveau d’innovation, les Karkwa n’ont rien à envier à Sufjan Stevens dont ils mentionnent régulièrement l’influence.Autant « indé » qu’incroyablement grand public, donc, comme on l’imaginerait d’une fusion de Coldplay et Radiohead qui mettrait tout le monde d’accord, on voit facilement Karkwa accélérer encore un peu dans les prochaines années pour s’imposer définitivement comme un groupe majeur.Si un seul « band » au monde pouvait bien passer outre le souvent rédhibitoire usage du français pour tout emporter à l’international, il y a fort à parier qu’il aura l’accent québécois…[NDLR] Karkwa sera également en concert aux Eurokéennes de Belfort le dimanche 3 juillet 2011
Pas moyen d’échapper au phénomène Karkwa ces derniers jours. Après avoir « pris la Bastille » à l’occasion de la fête de la musique et ouvert pour Arcade Fire au Zénith, la formation montréalaise se produisait mercredi à la Maroquinerie dans le cadre d’une « Fête du Canada » qui semblait décidément avoir gagné tout Paris.Passés les sets de Jimmy Hunt et de Blues Rodeo (ah, ce son country des Amériques…) la présentatrice québécoise annonce LE groupe de rock alternatif canadien, comme si les U2 eux-mêmes allaient débarquer sur scène. Pas de doute, elle explose littéralement de fierté comme jamais un frenchie n’oserait le faire, sauf à devoir répondre derechef d’une accusation de manque aigu de professionnalisme. C’est donc un vent de fraîcheur qui souffle d’entrée sur ce haut temple d’un certain parisianisme (lequel est plus souvent, on le sait, subtilement retenu), augurant d’une soirée différente de l’ordinaire en capitale, à commencer par les habituels clichés, balayés d’un revers classieux de la main. Oui, on peut faire du rock anglo-saxon chanté en français, oui, on peut avoir un impossible tarin et être le parfait leader d’un groupe, oui enfin, on gagne à exprimer sans réserve son enthousiasme sans se soucier de ceux qui finissent par tuer le naturel à force de rechercher le ridicule partout. Avant même de parler musique, c’est donc une sorte de choc culturel qui frappe, ce même choc ressenti par tous ceux qui, ayant un jour laissé derrière eux l’Hexagone, ont eu l’opportunité de vivre un peu en Amérique du nord.Le groupe joue depuis plus de dix ans et pour la troisième fois déjà à la Maroquinerie. Pourtant il se comporte, dans ses interventions et dans rapports avec le public, comme un groupe amateur ou au moins, débutant. Ne pas se méprendre : il s’agit là un compliment. Cette simplicité dans la relation, cette facilité à ne pas surjouer mais à rester soi même, cette fluidité qui créé le lien en une seconde, même pour une formation que l’on voit pour la toute première fois, sont bluffantes. Rien ne semble calculé, tout contribue à cette impression de se retrouver en face d’un groupe de potes qui jouent ensemble pour le fun et pour des amis dont le public ferait partie. Très vite, le chanteur plaisante sur les problèmes techniques qui avaient marqué leur dernier passage juste avant de … casser une corde. Rires dans la salle, alors qu’il préfère poursuivre sa chanson sans changer de guitare pour ne pas en briser la magie.Car c’est bien de magie dont il s’agit, dès qu’on entre dans le monde-musique de Karkwa. A l’exact opposé du sentiment de « bon pote amateur », c’est au contraire l’évidente capacité du quintet à se hisser d’emblée au panthéon des plus grands groupes qui s’impose dès les tous premiers titres. Portée par des harmonies vocales souvent éblouissantes, la musique est atmosphérique et rock, planante en diable. Le clavier habité crée des ambiances aériennes revenues d’un âge oublié, celui où Talk Talk nous embarquait dans sa bulle pour ne plus nous lâcher. La batterie se double de percussions qui ramènent aux rythmes indiens pour mieux conduire les crescendos de la transe, sans jamais tomber dans les affres de la cacophonie. La guitare réussit le tour de force d’adoucir une saturation à la My Bloody Valentine derrière un son nouveau, plus apaisé, qui le sublime sans le masquer. L’ingéniosité mélodique est là aussi, c’est de plus en plus évident à mesure que les titres s’enchainent et que l’on sait déjà qu’on les retiendra. Les arrangements sont aussi raffinés que créatifs, de ceux que ne renieraient pas Animal Collective, alors que chacune des chansons possède une structure qui lui permettrait en même temps d’être interprétée très simplement, à la seule guitare folk. Les chœurs et les instruments se mêlent pour des constructions pyramidales superbes d’intensité, jusqu’à ce que naisse l’émotion. Quant à la voix, elle est parfaitement maîtrisée et se fait tour à tour chuchotée ou puissamment belle, comme seul un chant lyrique qui n’en aurait pas les défauts pourrait s’en prévaloir. Et que dire, pour finir, du très joli dernier titre, sinon qu’intitulé Le Vrai bonheur et repris en communion par une salle conquise, il doit s’approcher de très près de la perfection en matière de final, tellement qu’on le fredonnera encore longtemps après dans les rues de Paris puis dans le métro, sur le chemin du retour…Au total, c’est plutôt un carton plein, à condition toutefois de franchir la barrière du couple textes singuliers en français / accent québécois qui focalise sur lui l’attention au détriment de la musique. Un comble, il est vrai.Le groupe, finalement, semble être passé par une sorte de laboratoire expérimental pour tirer la substantifique moëlle d’éléments qui ne convenaient pas dans leur état brut, tout en en conservant l’essentiel et la force. Ainsi il faut être particulièrement brillant pour aligner deux batteries sans le bruit qui devrait en résulter, faire du rock sans rugosité mais sans mièvrerie non plus, de la variété mais avec des textes hyper travaillés, du lyrisme sans grossière emphase, ou encore déployer une puissance live qui resterait agréable à l’oreille des plus mélomanes. A ce niveau d’innovation, les Karkwa n’ont rien à envier à Sufjan Stevens dont ils mentionnent régulièrement l’influence.Autant « indé » qu’incroyablement grand public, donc, comme on l’imaginerait d’une fusion de Coldplay et Radiohead qui mettrait tout le monde d’accord, on voit facilement Karkwa accélérer encore un peu dans les prochaines années pour s’imposer définitivement comme un groupe majeur.Si un seul « band » au monde pouvait bien passer outre le souvent rédhibitoire usage du français pour tout emporter à l’international, il y a fort à parier qu’il aura l’accent québécois…[NDLR] Karkwa sera également en concert aux Eurokéennes de Belfort le dimanche 3 juillet 2011