Stefan Sevenich en Socrate
Un homme qui s’est livré à deux femmes
a construit lui-même sa prison.
Il s’est fait l’esclave de deux chaînes,
dont seule la mort peut le sauver.
Il est comme un bateau plein d’effroi pour lui-même
car il se voit coincé entre deux écueils.
(Extrait du livret de la Patience de Socrate)
Le Directeur général du Theater-am-Gärtnerplatz, le Dr Ulrich Peters, avait depuis longtemps promis la programmation d'un opéra issu du répertoire baroque. Il a tenu parole et visé juste en choisissant un des opéras les plus populaires de Telemann, une oeuvre dont l'argument cocasse devait plaire au public du théâtre. Le Dr Peters a eu aussi l'intelligence éclairée de confier cette production à des spécialistes du genre, Axel Köhler pour la mise en scène et Jörn Hinnerk Andresen au pupitre, et de compléter l'orchestre et la troupe en engageant pour l'occasion des musiciens sur intruments baroques ainsi que le contre-ténor Yosemeh Adjei pour le rôle d'Antippo.
La première a eu lieu hier soir, et ce fut un immense succès. Promesse tenue et pari pleinement réussi. On entre au théâtre avec curiosité, et on en enchanté, ravi d'avoir vu un opéra baroque comique, alors qu'on est souvent plus familiarisé avec le répertoire historique ou les oeuvres de la musique baroque sacrée. La saison du Theater-am-Gärtnerplatz se termine en apothéose!
Der geduldige Sokrates de Telemann
1721 est une année importante pour la carrière du compositeur puisqu'il décrocha successivement les postes de Cantor Johannei et de Director Musices de la ville avant de devenir comme il le souhaitait le directeur de l'opéra, une place qu'il allait longtemps occuper.
La composition du livret est confiée à Johann Ulrich von König, qui fut un des meilleurs librettistes allemands de la première moitié du 18ème siècle. König imite largement La Patienza di Socrate con due moglie de Nicola Minato, un texte qui avait été mis en musique par Antonio Draghi et qui sera encore repris par Caldara à Vienne en 1731. Il colle de près au texte original dont il garde cependant de nombreux arias en italien. Il en traduit les récitatifs et introduit des arias en allemand. Cela nous donne un opéra bilingue, essentiellement allemand avec quelques airs en italien, et même quelques lignes en latin, puisque, par un anachronisme au comique consommé, les élèves de Socrate affirment faire des progrès dans l'étude du latin et mieux pouvoir s'exprimer dans cette langue lorsqu'ils sont en état d'ébriété. En somme un opéra qui réunit les goûts, puisqu'il cède à la mode allemande tout en conservant la mémoire de son origine italienne.
Heike Susanne Daum (Xantippe)
et Amitta (Thérèse Wincent) harcèlant Socrate (Stefan Sevenich)
La production du Theater-am-Gärtnerplatz
Le Theater-am-Gärtnerplatz présente une version raccourcie en trois heures de cette oeuvre qui en demande une de plus pour être jouée dans son intégralité. C'est la première fois que cette oeuvre est présentée au public munichois.
Gregor Dalal en Nicia, le père de Melitto
Le metteur en scène Axel Köhler est un spécialiste de l'opéra baroque. Aujourd'hui directeur de l'opéra de Halle, il se produisit autrefois sur les scènes comme contre-ténor, une voix qui on le sait convient bien à la musique baroque. C'est donc en grand connaisseur du genre qu'il a mis en scène la Patience de Socrate. Et à l'instar du livret qui mutiplie les anachronismes en faisant par exemple apprendre le latin aux élèves de Socrate, Köhler rajoute à la bouffonerie en plaçant un frigidaire rempli d'alcools au milieu de la bibliothèque de Socrate, une bibliothèque qui ressemble aux rayonnages encombrés d'un bouquiniste contemporain. Des bustes de philosophe garnissent les pièces d'habitation, de toutes proportions, comme dans une boutique de souvenirs. Le laser vient y inscrire des dictons de la sagesse socratique qui défilent. Les élèves philosophes de Socrate se comportent comme une bande de joyeux drilles tout droit sortis d'un cirque baroque munis de cahiers et de crayons surdimensionnés. Les mouvements scéniques des acteurs sont particulièrement soignés et soulignent la problématique de la bigamie: ainsi des deux femmes qui s'efforcent de séduire Melitto. Köhler leur adjoint deux artistes en train de les portraiturer des deux côtés de la scène, un sculpteur essaye de capter les formes avantageuses de l'une tandis qu'un peintre s'échine à rendre la beauté de l'autre, quand elle consent à poser. Une statue de marbre s'anime et se met à danser: il s'agissait d'un danseur nu entièrement grimé en statue et qui tenait la pose.
Köhler est en complicité parfaite avec Frank Philipp Schlößmann qui réalise les décors sur le plateau tournant, on passe de l'improbable bibliothèque à réfrigérateur incorporé de Socrate à des ciels bavarois, bleus et blancs, qui glissent comme d'immenses paravents et à des fonds de scène de couleurs violemment primaires, rouge sang-de-pigeon et bleu azur , avec des découpures de ciel à la Magritte .Les costumes chamarrés et brillants de Katharina Weissenborn donnent l'atmosphère baroque, comme dans cette scène où le père de Melitto apparaît en somptueux costume d'apparat très Louis XIV,à côté de cette statue de marbre qui s'animera bientôt. Le costume et le grimage dorés de Cupidon sont également particulièrement réussis.
Ce qui surprend tout au long de la soirée, c'est la capacité de la troupe à trouver le ton juste pour interpréter le répertoire baroque tout en faisant jouer cette corde comique auquel son public est tellement sensible. Bien sûr ce sont tous de grands comédiens chanteurs professionnels, mais les voix baroques supposent un entrainement particulier et les chanteurs s'y spécialisent, on est loin ici du répertoire habituel du théâtre.Cela rend d'autant plus remarquable la performance des chanteurs du Theater-am-Gärtnerplatz qui tiennent leur partie sans faillir, avec une bonne tenue, tant dans les récitatifs que dans la variété des arias, des duets et des ensembles. Sans doute les arias da capo sont-ils moins longs que chez un Haendel par exemple, mais il faut savoir les tenir. Et l'opéra de Telemann nous émerveille par sa variété et son rythme: à côté des arias da capo, les duets se succèdent (il y en a onze, pour souligner les nombreuses rivalités féminines de la bigamie), sans compter un trio, deux quintettes et des choeurs. L'impression de diversité est encore accentuée par le passage fréquent de l'allemand dominant à l'italien, et même, comme on l'a déjà souligné, au latin.
On a pu avoir l'impression de vivre un baroque actualisé, un new age du baroque au service du comique de situation. Le metteur en scène et les comédiens chanteurs sont parvenus à rendre actuelle cette oeuvre qui a près de trois cents ans, mais dont les thèmes de jalousie et de fidélité sont éternels. L'orchestre avec son mélange d'instruments anciens et contemporains participe lui aussi de cette modernité. La morale de l'histoire n'est pas en reste : si elle célèbre la monogamie, cela peut être celle d'un couple gay, comme le souligne le metteur en scène dans un clin d'oeil final.
Si la performance des chanteurs de la troupe et du chanteur invité ont été unanimement saluée, c'est à l'orchestre et à son chef que revient la laudatio maxima. Le chef Jörn Hinnerk Andresen a su communiquer sa passion pour la musique baroque à l'orchestre du théâtre adapté pour cette production par l'apport de quatre musiciens extérieurs et a su rendre les modulations de l'écriture vocale et des couleurs instrumentales de cet opéra de Telemann pétillantes comme une excellente coupe de Sekt! Zum voll!
Pour préparer l'opéra:
- Lire le livret: on trouvera le livret en français sur le site livretsbaroques.fr
- On trouvera une excellente compilation de textes et de critiques de diverses productions de La patience de Socrate sur le site de Jean-Claude Brennac
- On peut écouter un enregistrement: Mc Gegan pour Hungaroton, 1987
Le 30 juinLes 13, 21 et 26 juilletLes 24 et 28 septembreLes 2, 13, 21 et 29 octobre
Pour réserver, cliquer ici, sélectionner la date puis cliquer sur Karten bestellen et suivre la procédure
Crédit photographique: Hermann Posch