1er février 2008, le jour se lève sur Pointe-Noire, capitale économique du Congo.
Sur l’océan qui grisonne, les torchères pâlissent et semblent s’éteindre peu à peu en se confondant avec l’eau et le ciel. Un jour comme un autre pour cette ville qu’aucun événement ne semble jamais atteindre, toute occupée qu’elle est avec son pétrole, ses Français expatriés, son business incessant de l’aube au coucher du soleil. Pointe-Noire aime à montrer ses villas cossues, ses gros 4 x 4 rutilants, ses hôtels flambant neuf où les chambres sont réservées à l’année par les « pétroliers », nom générique qui désigne les étrangers, même s’ils ne travaillent que de loin avec les compagnies pétrolières. Trottoirs ombragés, restaurants chic, belles plages de sable blond où l’océan vient dérouler des vagues souples – le site est considéré comme le meilleur spot de surf de tout le littoral – tout semble être pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.
Une prospérité apparente...
Cité prospère, Pointe-Noire a commencé son expansion entre 1970 et 1985, au moment des découvertes de pétrole et de potasse, qui attirent alors vers la côte, outre les Blancs, les ruraux appauvris et des immigrés venus d’Afrique de l’Ouest, surtout du Bénin, du Sénégal et du Mali. Dans le quartier Mayumba aujourd’hui, on n’est pas loin de se croire au marché Sandaga de Dakar ou à Bamako, tant par la multiplicité des échoppes qu’à voir les noms de leurs propriétaires, heureux commerçants qui tirent magnifiquement profit d’une économie apparemment en plein développement. La population a dépassé les 500 000 habitants depuis le début des années 1990 et, la guerre civile ayant totalement épargné la ville, le périmètre urbain ne cesse de s’accroître sous la pression des promoteurs immobiliers. Il en vient même à grignoter les terres consacrées aux cultures maraîchères.
De ce côté-là, les agriculteurs grognent et les importateurs se frottent les mains. Le grand supermarché de la ville regorge en effet de denrées en provenance du monde entier, mais bien rares sont les produits locaux. On les trouve sur les petits étals de rue et au marché, mais ils arrivent souvent de loin, du Nord du pays ou de l’étranger. « Il n’y a plus d’agriculture nationale, peste un Français, congolais d’adoption depuis des lustres. Alors qu’il existe ailleurs un savoir-faire qui permet de produire 40 tonnes de pommes de terre à l’hectare, ici cela relève du miracle d’en obtenir la moitié. » Venu pour construire des routes, il rêve de se lancer dans cette filière mais se heurte à un obstacle majeur : l’écoulement d’une éventuelle production de masse.
La voie ferrée, seul transport viable, et sujet aux mauvaises surprises...
Il ne reste donc plus au malheureux passager qu’à confier son sort aux dieux tutélaires protégeant le lieu ou à prendre l’avion. Car la route, mieux vaut ne pas trop y compter. Non seulement ce serait se jeter dans la gueule du « loup », à l’affût de ce genre d’opportunité, mais la piste de terre rouge, étroite et défoncée, creusée de fondrières aux allures de crevasses, aura vite raison de la colonne vertébrale la plus résistante et du 4 x 4 le mieux suspendu.
L'envers du décor
1er février 2008, Pointe-Noire, revers de la médaille. Il est midi, l’heure où l’ombre est la plus courte et la ville incapable de dissimuler ses plaies. Dans les quartiers populaires, ceux où les Blancs ne vont jamais et les édiles municipaux non plus, l’activité est à son apogée. Des millions de F. CFA ont été débloqués, dit-on, pour améliorer l’adduction d’eau. A voir la file d’attente auprès d’un malheureux et unique robinet, la myriade de jerricans jaunes que les porteurs d’eau vont charger sur des charrettes fatiguées pour aller les vendre jusqu’au fond des ruelles sablonneuses, on conclut que l’investissement n’a pas bénéficié à tous. D’ailleurs, on se demande même si la brillante cité pétrolière n’a pas complètement oublié quelques dizaines de milliers de ses habitants. Dans les rues écartées du quartier Tié-Tié, nous sommes très loin des jolies photos de publi-reportages publiés à grand frais dans les magazines occidentaux. Les maisons de tôle et de terre battue abritent à grand-peine des familles entières. Des montagnes d’immondices jonchent les chaussées et seuls quelques pique-bœufs au plumage sale et des poulets étiques se chargent de la voirie. La pluie détrempe régulièrement les sols, transformant le quartier en un marécage où l’on s’enfonce jusqu’à la cheville. Une odeur pestilentielle monte alors de la fange et, crise de paludisme aidant, personne ne se risque plus à sortir de chez soi. De toute façon, les taxis individuels ou collectifs ne parviennent plus jusqu’à ces quartiers et partir travailler – pour les chanceux qui ont un emploi – relève de l’exploit.
Il serait injuste de dire que le gouvernement ne fait rien pour remédier à la situation. Dans le quartier de Mbama (Bacongo), un terrain de plusieurs hectares est en cours de lotissement. La maîtrise d’ouvrage est assurée par les Chinois. Derrière une palissade proprette, des maisons toutes semblables s’alignent soigneusement par grappes. Façades blanches, fenêtres en PVC, rambardes de balcon en fer forgé, on devine l’aménagement intérieur : électricité, eau courante, climatisation, l’idéal pour loger cette classe moyenne dont le Congo a tant besoin et qu’il s’efforce à tout prix de susciter. Hélas, comble de la dérision, de l’autre côté de la rue s’étale un vaste bidonville. Ses habitants, lassés, restent silencieux face à ces constructions qu’ils ne jalousent même pas tant ils se sentent exclus de toute modernité. Comme si le pays marchait sans eux. Deux mondes vont bientôt s’observer en silence d’un côté et de l’autre d’une rue, sans autre communication que, au mieux, le mépris.
(à suivre)