En 1993, bien loin du gangsta rap de la côte ouest, les Digable Planets s’engouffrent dans la brêche jazzy ouverte par De La Soul, Tribe Called Quest ou Arrested Development, et accouchent d’un album au nom abracadrabrantesque : Reachin’ (a new refutation of time and space). Incarnation d’une branche intellectuelle, volontiers surréaliste du hip-hop US, le groupe de Brooklyn atteint alors des sommets dans l’utilisation du sample jazz-funk.
L’album entier repose en effet sur des échantillons triés sur le volet de certains des plus grands artistes de la musique noire américaine. Des samples “grillés”, dirait-on aujourd’hui, mais dont l’utilisation, à cette époque, n’avait rien d’honteux. Sonny Rollins, Art Blakey, Curtis Mayfield, Eddie Harris et jusqu’aux Last Poets sont convoqués au festin. Mais s’il suffisait d’aligner les jolis samples pour faire de bons disques, nous serions tous musiciens... Quand la basse majestueuse du "Devika" de Lonnie Liston Smith ouvre "Pacifics", les Digable ne se contentent pas de profiter de sa puissance, mais la magnifient. Ils disposent pour cela d’armes de choix, à commencer par le flow des trois MCs, Doodlebug, Butterfly et Lady Bug. Des flows purs, jamais agressifs, presque candides. Particulièrement impressionnante, Lady Bug parvient, à une époque où les rappeuses se comptaient sur les doigts d’une main, à surpasser ses partenaires masculins par sa capacité à varier les tons et les atmosphères.
Autre arme de gros calibre : un fabuleux duo de producteurs. Seul Butterfly est crédité dans le livret, mais il était en fait épaulé par un dénommé Silkworm. Celui-ci fera ensuite une brillante carrière solo, distillant indifféremment soul, house et trip-hop sous le nom de... King Britt. Silkworm et Butterfly enrichissent l’instru de claviers psychés et de beats qui claquent sans heurter. Moogs limpides en toile de fond, les DP déploie des lyrics empreints d’une “coolness” imperturbable. S’inscrivant dans la tendance afro-chic de l’époque, fin mélange de négritude revendiquée, d’esthétisation de la vie dans le ghetto et de réminiscences des années 60 et 70, ils se muent en storytellers pour raconter une journée de “chill” à New-York ("Pacifics"), militent pour l’avortement (Butterfly dans "La femme fétal") ou se tapent une bonne tranche d’égo-trip ("Nickel bags").
Reachin’, disque d’or dès sa sortie, permet aux Digable Planets de rafler un Grammy Award. Le single ultra-funky "Rebirth of slick (cool like dat)" est sur toutes les lèvres et campe dans les charts pendant de longs mois. L’année suivante, leur deuxième album, le sous-estimé Blowout Comb, ne connaîtra pas le même succès, ce qui entraînera la dissolution du groupe en 1996. Recomposé en 2005, le combo a fait paraître une compilation incluant quelques inédits, et prépare actuellement un nouvel album qui devrait voir le jour cette année, après 14 ans d’attente.
En bref : L’un des cinq plus grands albums de hip-hop jazzy de l’Histoire.
Le clip de "Rebirth of slick (cool like dat)":
Digable Planets - Rebirth of Slick
envoyé par oublierleracismeskyblog
Celui de "Where i’m from":
Digable planets where i'm from
envoyé par seidrik
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