Quelques réflexions à l’usage des participants à l’AG du syndicat Alizé, le 25 juin à Lyon
A l’heure des comptes et des mécomptes, je me dois de présenter mon bilan, comme une catastrophe à ajouter aux autres, qui se répandent comme traînée de poudre.
Presque j’aurais eu envie de ne plus rien dire tant mon expérience de ce qui reste de la profession n’est qu’ombre, triste fantôme de ce qu’elle pourrait être.
Je lis que nous aurions quelque chose à gagner, une place à tenir dans une loi inique décrétée par un gouvernement qui ne l’est pas moins.
Je parle ici de la mauvaise loi dite HPSCT ou encore loi « Bachelot », du nom de sa sinistre initiatrice.
Je vois des gens d’un même métier, les uns se réclamant de gauche, les autres inféodés à l’arrogance libérale, s’empailler pour être vizir à la place du grand vizir dans les lit des URPS, bordés de mains d’ARS, qui se marrent du triste spectacle donné, gratuitement (ou presque) par ces fantoches incapables de lever le nez du guidon d’un métier déjà mort.
Que de bévues en trente années de métier, que d’imbéciles et grossières erreurs accumulées, faute de regarder un peu autour, devant et dans le rétroviseur.
Trente années de déchirures entre les « renégats » du salariat et les non moins de l’exercice libéral.
Trente années de refus de voir et de réfléchir, de se poser, non en profession indépendante du monde dans lequel elle se développe, mais dedans, partie prenante d’un monde qui ne cesse de courir à sa propre perte. Car qui peut prétendre soigner, avoir la prétention de guérir les épuisés d’une société qui facturera bientôt l’air à respirer, sans se poser la question du sens de cette volonté farouche, noblement inculquée dans des instituts de formation onéreux qui n’ont guère d’intérêt à contester le système.
Et leurs élèves, une fois le papier honorifique en poche, emboitent le pas de leurs aînés : on leur a dit que la nature de la profession était dans une pratique libérale, vaguement affublée d’un pastiche de liberté.
Les plus riches, ceux qui savent manœuvrer dans les eaux troubles de la rentabilité et du productivisme s’en sortiront, certes. Les autres iront grossir les rangs des insatisfaits permanents, des ronchons et des râleurs dans leurs secrètes alcôves, courant après trois sous de reconnaissance, octroyées du bout des doigts par le lobbying impudique des premiers.
Et courant après une fantomatique notoriété, les pitres se verront gratifiés d’être des « notables » que personne ne croira lorsqu’ils diront leurs fins de mois difficiles.
Je parle d’un métier mais, volontairement je ne le cite, tant ce que j’en décris pourrait s’appliquer à presque tous.
C’est pour inviter à regarder ce magnifique laboratoire d’expérimentation pour les volontés de dérégulation, de normalisation, de réduction de l’humain aux conditions économiques de son existence où la nôtre, qui se dit kinésithérapeute, mais brille par son immobilisme, s’est enfoncée depuis trente ans.
Il en est qui prétendent nous représenter et qui se vantent de gauche. Ils font de la procédure une profession de foi, s’évertuent à traîner leurs ventres dans tous les buffets où étaler leur arrogance, sans dire un traître mot de la soif et de la faim qui commence à tenailler les plus faibles d’entre nous.
D’autres, rangés du côté du manche, ont la roublardise de prétendre défendre un monde qu’ils ignorent. Ceux-là s’appuient sur leur force historique pour contourner tous les obstacles. Ils ont toujours été les valets d’un monde patronal qui se moque éperdument de leur existence, tant leur nombre est insignifiant, et leur chiffre ridicule.
Tous, au bout du compte, se drapent dans leur robe d’indépendance pour revendiquer l’impossible, tant les nécessaires compromissions les ont menées dans des dérives sans avenir.
Ils sont fiers, les uns comme les autres d’avoir obtenu un « ordre ». Ils ont ainsi un endroit où poser leur lard, nourri de la cotisation des plus indigents, réduits à plus de misère encore.
Il en est qui pérorent en des Hautes Autorités, rêvent d’une idyllique science qui leur donnerait pignon sur rue dans un monde qui réduit l’humain à ses molécules.
Nul ne se penche sur ce que le monde fait qui conduit ce qui reste d’humanité au suicide collectif.
Dans nos blouses blanches, nous serions au-dessus des avanies d’un monde à l’agonie.
Alors, on cherche à tirer les marrons du feu. On ne voit pas le vers qui, lentement mais surement, ronge la branche sur laquelle nous sommes assis.
Non, nous n’avons rien à gagner à cautionner une politique des riches pour les riches. Nous n’avons rien à gagner à soutenir mordicus une pratique qui n’est qu’un salariat déguisé (sauf pour les plus fortunés). Nous avons tout à perdre à ce démantèlement d’une véritable idée de santé publique, appuyée sur un vrai service public de santé garantissant à toute la population, quel que soit son degré de fortune, l’accès à des soins de qualité et éclairés qui n’ont rien à voir avec les réductionnismes scientifiques ambiants.
Car nous nous adressons à des humains, non à des colonnes de chiffre. Nous avons la vie entre nos mains, et non des mécaniques en proie à quelques défaillances.
J’ai commis l’erreur de croire encore à quelque possibilité d’enthousiasme pour ce métier. Moins d’un an après mon élection, je me rends compte de l’impasse et de l’impossibilité à régler le moindre problème tant l’aveuglement est immense. J’envisage donc de mettre un terme à mon mandat, pour ne pas continuer à cautionner des professionnels perdus dans le navire d’un monde déchu.
Pour qu’une profession avance, il lui faut de l’espérance. Et pour qu’elle ait de l’espérance, il faut que ses membres se mobilisent, se battent, refusent de se laisser enfermer dans des schémas tout fait, dans des modes de pensées prédigérés, dans le prêt à porter des idées en vogue. Il lui faut une philosophie, une élévation politique, une capacité à dénoncer ce qui doit l’être pour ne pas se laisser engluer dans les vaines querelles.
Rien de tout ceci ne me semble devoir se profiler. C’est tout le sens profond de mon silence des derniers mois, de mon absence parmi vous. Mes réflexions sont déjà bien au-delà de ma survie professionnelle. Je me dois tout simplement de tourner la page d’un diplôme auquel j’ai cru, mais où je me suis largement fourvoyé, incapable de voir que la sociologie même d’une telle profession ne pouvait être qu’un piège.
A moins que nous ne décidions de prendre à bras-le-corps les problèmes, que nous nous mettions à secouer avec véhémence le joug d’un monde qui ne sait que mettre des barreaux à toutes les fenêtres, des caméras de surveillance aux portes de nos cabinets, et que nous apprenions à rejoindre la longue cohorte des indignés qui pointe son nez dans les affaires de cette société aux abois.
Xavier Lainé
Ecrivain, praticien Feldenkrais, Kinésithérapeute (peut-être plus pour longtemps)
Manosque, 21 juin 2011