Ah ! Mon pauvre monsieur, c’est pas que, mais j’ai pas lerche de temps, voyez… Et puis, je suis pas bien perçu, ni même attendu... Preuve en est, mes cinquante années, ce jour, ils me les ont sucrées… Si c’est pour encore qu’on m’accable, qu’on verse dans la vilipenderie et tutti, merci ! J’ai eu ma dose. De difficultés… Les gens si vous saviez… Ce qu’ils sont lourds. C’est pas faute de l’avoir seriné, n’est-ce pas ?... Bien… Alors ?
Alors, vous me dites qu’ils vont voter Marine. Ah ça ira, ça ira… Le chaos et tout ce qui s’ensuit… De toutes les façons, le chaos, c’est le quotidien, vous comprenez ?... On marne, on trime, on tue. On tue surtout… Des sacrifices, tout le temps, des sacrifices en veux-tu. A perpète.
Alors un de plus, un de moins, ma foi…
… Oh, j’entends bien, je la vois, l’entendue. Du désastre… Grecs, espagnols, portugais, ça part en quenouille, votre affaire. Ça bringuebale, ça claudique. Et l’euro, qui prend l’eau. Tout à trac et cætera… Y’a de quoi s’indigner... Mais voter ? C’est curieux... C’est très curieux, n’est-ce pas ? Ah ça oui…
Vous me direz, la démocratie, la République, tout votre bazar laïque, hautement catholique, ça devient quoi, si à l’urne, on y va plus ?... Et tous ces pauvres gens. Qu’attendent et espèrent. Même que c’est ça qui les perd...
Ah ! Faut rien attendre, rien espérer. Sinon, c’est l’ankylose, le diabète qui vous guette, le vasculaire qui s’encaillotte… Qu’on en devient infirme pour soi, et pour les autres…
Des infirmes ! Voilà, ce qu’on est. Des ratatinés. Parce que trop lourds… D’esprit, de cœur, de cul…
Les gens, si vous saviez… Si je les connais bien ! Ils sont prêts à tout. Par jalousie, absolument. C’est effrayant… Toujours à reluquer le voisin, dès fois qu’il aurait un acquis de trop, même le plus riquiqui… Qu’il frauderait pas à la Sécu, au fisc, au RSA… La mesquinerie, c’est votre religion, à vous autres. Celle des petites gens…
Alors, vous comprenez, vous diviser, par paquet, vous réduire, c’est jeu d’enfants. Pour le puissant. Du velours… Depuis lustres qu’il se gargarise, le puissant. Qu’il engrange… C’est entre eux qu’ils s’héritent. Et comment !... Qu’ils se refilent pourliches, bakchichs, artiches… Les dynastiques… Les oligarchiques… Les ataviques… Vous pouvez toujours suer, chagriner, vous n’en verrez pas la couleur, tellement vous êtes, les uns des autres, désolidarisés… Elle est là votre balourdise... Et tout est bon ! Qu’on vous y refile un os à ronger, du musulman, du Rom, de l’étranger n’est-ce pas, qui viendrait croquer, vous dit-on, allocs, prestations, taf ; du bouc-émissaire à foison, de l’attrape-gogos, sournoiseries et compagnie ; et vous plongez. Recta… Ah la belle diversion ! Du velours, je vous dis.
Alors quoi ? Marine à l’Elysée ? Ah ça ira, ça ira, qu’elle va y remettre de l’ordre et de la France dans tout ça, la « bleu-blanc-rouge », la patriote…
C’est fini. Terminé. Le patriotisme. Kaput ! De rien, ça protège, le patriotisme. Tout juste bon à vous conduire au front ; de vous, ça fait de la chair à canon… Les guerres, toute cette boucherie, vous avez pas idée... D’en être épargné, c’est de l’ordre du considérable... La guerre, vous la faites au très loin, désormais. Au bistouri, au chirurgical, sans dommage collatéral… Par la télé, retransmise. Au nom, béni, de la démocratie. C’est confortable... Plus d’appelés, plus de conscrits, que des professionnels. C’est tant mieux. C’est une chance...
La patrie, c’est que des ennuis. C’est comme je vous dis… Ca lourdit l’âme, vous déglingue les viscères… Et pis rien, elle ne vous rendra rien. Ni honneur, ni gloire, ni fierté. Que du malheur. Par tranchées. De là, où jamais, on ressort entier. Qu’estropié. Déjà qu’on l’est ; infirmes…
Alors Marine, la patriote, faut pas charrier. On a donné. Même qu’on en est morts. Et inconnus, s’il vous plaît !
Ah ! Les pauvres gens. Pour qui c’est marre. Qu’en peuvent plus. Tellement qu’ils en ont soupé, des uns, des autres, des politiques, des ambitieux, les Nicolas, les François, et autres roitelets, qu’y se disent, pourquoi pas elle, la Marine, qu’elle viendrait nous sauver, tout crus. Qu’elle nous sortirait de là. De cette monnaie. L’euro miné… Tant de souffrances, ça finit pas égarer, n’est-ce pas ?... Ahuris de crédits, endettés jusqu’aux gosses …
Qu’il me soit permis d’avancer l’idée que, tout de même, comme sortie, c’est précipice… De l’abyssal… J’en ai fréquenté des économistes. De l’escogriffe diplômé qu’a toujours raison. C’est pas ce qui manque ! Et en immense majorité… Mais quand t’as plus le sou, déficitaire au carré multiplié, y’a pas à tortiller, c’est bon sens, tu peux pas… Sortir… Sinon, c’est de la calancherie grand format… Mort à crédit pour tutti ! A taux forts, rédhibitoires...
Ceusses qui pourraient s’en extraire, de votre monnaie, qu’est ni yen, ni dollar, c’est les riches, ceux qu’ont du frais, de la liquidité. Les pays, rares d’Europe, qui croulent sous le pognon. Les à l’aise... Dans tout autre cas, le nôtre au demeurant, c’est suicide…
C’est comme pour tout, voyez, faut avoir les moyens, sinon, t’es marron, t’es grenouille. L’explosée qui voulait faire son bœuf…
C’était avant, bien avant, à l’amont, qu’il fallait y penser. Maastricht 1992. Et encore ! Ils vous auraient retourné la situation. Comme toujours. Via le Parlement… Le cocufiage démocratique, c’est un métier, messires ! Confère le Traité, le fameux. Celui du 29 mai... Plan B ?... Mon cul !... Par derrière, qu’on va passer. Ah ! Comme j’oublierai ton « Non », peuple de France ! Et à nous Lisbonne… Y’a pas à dire, c’était du fignolé. Au beurre, et par quintaux…
Et malgré ça, il piafferait d’impatience d’y retourner, à l’urne, le Dugenou, armé d’un seul bulletin ?... A ce niveau, le diagnostic est sans appel… c’est du symptôme. De la grande pathologie.
Or donc, vous me dites, m’assurez, qu’ils vont voter Marine, les miséreux, les oubliés, les ouvriers, le populaire, jusqu’à la moyenne de classe, qu’est toute rognée, à force de déclassage, de précarité, toute hantée par le terme, comme moi j’étais…
L’inégalité sociale, je connais… J’ai pas attendu mes cent et dix-sept années pour la découvrir. A quatorze ans, j’étais fixé, une bonne fois pour toutes. J’avais dégusté la chose… Et je vous le certifie : c’est pas un vote qui changera la donne. Tant l’affaire est faite. Mondialisée. Aux banksters, les mains pleines…
Oh, n’y voyez nul complot. Y’a pas. C’est du limpide. Du transparent… Le complot, une fois encore, c’est pour les étriqués. Ils en voyent partout. Ça les occupe. Leur prête à causer…
Mais balpeau de complot ! La vérité, c’est votre grand dadet qui l’a bonnie :
« Plus c’est gros, et mieux ça passe ».
Voyez ?... Qu’est-ce qu’ils iraient s’encaguer à ourdir, les zozos d’en-haut ? A camoufler ? Pensez-vous !... Au grand air, qu’ils les font, leurs combines, leurs affaires… Seulement, vous comprenez, le lambda, il peut pas. Ça crève ses châsses, mais non ! Il faut qu’il cherche ailleurs. L’explication, l’entourloupe, le bonneteau magistral... Alors que c’est pourtant là, clair, net, sous son propre nez.
Y’a pas chercher midi à quatorze heures…
… Vous allez me trouver de l’infect, n’est-ce pas, moi qui suis raffiné, mais le populo, le citoyen comme on l’appelle, faudrait qu’il se culture, qu’il s’instruise, qu’il se muscle le cassis. Là, ça changerait bien des choses… Il se ferait moins empapaouter… Avisé, qu’il serait… Au lieu de ça, ça boit, ça bâfre, ça roupille devant la télé-crotte, ça ingurgite des fadaises par pacson… Et quand ça ouvre un œil, c’est trop tard… Il est marchandisé, manufacturé, mondialisé. Jusqu’au trognon…
… C’est paresseux, tout ça, monsieur. Avachi. Gâté. Pourri. Qui voulez-vous qui s’en charge ? Tellement c’est lourd… Qu’est-ce que vous voulez démondialiser ?... Et pourquoi pas déplanétariser, dégalaxiriser, pendant qu’on y est !... Allons ! Vous leur refilez un gadget, du numérique, et vlan, ils retournent pioncer…
Oh ! Je suis bien marri. Mais tout de même, je vais vous dire : c’est pas voter Marine qu’il conviendrait, c’est pas la peine, c’est la même classe, le même système… Non, c’est plus voter, qu’il faudrait... 100% abstentionnistes !... La voilà, la réponse. La radicale ! L’épatante !... Ah ça par exemple ! Imaginez ! Les gueules ! Décaties... Comme ils seraient bien attrapés, dites, vos ambitieux, vos charabieux, la politico-caste !... Tant de volonté, d’un coup. A l’unisson ! Sans même concertation… Mais quelle beauté ! Zéro dans l’urne. Pour aucun. Bernique !... Comment qu’on fait ? Maintenant que peuple s’est rebiffé. Que le peuple s’est réveillé. Ma parole !... Déloqué de sa lourdeur, de son infirmité. Il s’est révolté. Pour de vrai... La Grande Révolte de l’Esprit contre le Poids… Après tant d’années, et autant d’outrages…
… Mais c’est pas pour demain, n’est-ce pas ?... Calibans ils sont, calibans ils resteront. Et de plus en plus… Infirmes. Ecrasés… Mais tout plaigneux. Il va sans dire...
Eh bien, ma foi, que voulez-vous, qu’ils marinent ! A feux doux, et dans leur jus si possible… Celui du quotidien. Ce chaos. Qui leur convient si bien.