Interrogés lors d’enquêtes, les internautes fixent le prix idéal d’un ebook aux alentours de 5 €. Cependant, cette importante décote par rapport au prix moyen d’une édition papier est bien plus importante que celle actuellement pratiquée par l’édition française. En effet, mis à part les éditeurs numériques (comme Publie.net et son “prix unique” à 3,49 €) et quelques rares autres éditeurs (comme Fleurus-Mame qui pratique des prix bas), l’édition traditionnelle peine à accorder au lecteur une réduction supérieure à 30 % par rapport à la version papier.
Pour certains d’entre eux, le prix s’établit sur celui du livre de poche, soit dans une fourchette comprise entre 8 et 9 €. Malheureusement, pour ce prix, le fichier est souvent protégé par des DRM qui laissent un goût amer à l’acquéreur, qui peut être amené à se dire qu’il aurait mieux fait d’acquérir une des versions papier. Pourtant, le numérique a changé notre perception par rapport aux prix de contenus. Lors du salon Digital Book World 2011, plusieurs professionnels établissaient la nouvelle fourchette de prix entre 1,99 $ et 2,99 $ (compte-rendu sur Teleread). Une grille tarifaire bien loin de celle pratiquée en France…
Le livre de poche, un objet difficilement numérisable
Dans l’édition papier, le livre de poche répond à deux critères : un format réduit et un prix public de vente souvent inférieur à 10 euros. Cette seconde vie de l’oeuvre le rend accessible à un lectorat plus large. Cependant, le numérique change la donne pour ce produit. Un même fichier ebook peut être lu aussi bien par un reader que par une tablette. Nul besoin d’un nouveau produit pour toucher un nouveau support et le lectorat associé ! Quant au prix, aucun acteur n’a encore établi en France de politique bien précise de fixation du prix des livres numériques (mis à part, les éditeurs 100 % numérique, une fois de plus, et certains éditeurs voulant donner une cohérence à leurs collections).
Cependant, il faut rappeler le contexte économique pour mieux cerner la situation dans laquelle l’éditeur traditionnel se trouve. Aujourd’hui, l’éditeur de livres grand format (typiquement, les premières éditions des bestsellers actuels) cède à un éditeur de poche les droits d’exploitation après une fenêtre de 9 mois. Suite à l’évaluation de différents critères (nombre d’exemplaires vendus, notoriété de l’auteur, genre à la mode, etc.), l’éditeur grand format reçoit un à-valoir plus ou moins conséquent. Dans le cas de nos bestsellers, cet à-valoir est une source de revenus non négligeable pour l’éditeur, parfois il s’agit même du chèque qui permet d’équilibrer le compte d’exploitation. Et donc de donner une chance à un texte d’auteur en librairie ou compenser les pertes engendrées par le fond de catalogue qui ne se vend pas…
Cependant, le format numérique vient bouleverser l’économie du poche. Avec un ebook à bas prix, l’éditeur craint de voir ses ventes de poche cannibalisée par ce nouveau produit. Et avec, l’à-valoir essentiel à la cohésion du modèle économique de l’édition traditionnelle. Faut-il privilégier une édition numérique à bas coût ou bien une édition poche? Récemment, un éditeur nous confiait que pour l’éditeur grand format, cela serait “lâcher la proie pour l’ombre”, ne sachant pas (encore) l’étendue des débouchés offerts par le numérique et les conséquences qu’ils pourraient avoir sur l’économie du poche (et son à-valoir).
Aujourd’hui, aucun éditeur ne peut confirmer la thèse qui voudrait qu’un prix plus bas sur les ebooks décuple les ventes, notamment pour les auteurs vedettes. Au fond, il s’agit là de choisir entre une stratégie à court terme (équilibrer un compte d’exploitation…) et de long terme (préparer l’arrivée des nouveaux usages de lecture). Et si cette dernière option est retenue, et que le succès des terminaux de lecture en France se confirme (notamment avec l’arrivée du Kindle), la survie du livre de poche en tant que support de lecture de masse soit difficile.
La renaissance du format court, l’esprit du livre de poche
Aux États-Unis, la réflexion sur le prix du livre numérique est plus avancée qu’en France et en Europe. En effet, dès la sortie du premier Kindle (en novembre 2007), Amazon imposait sa norme : les bestsellers du New York Times à 9,99 $ (contre 20-25$ pour la version hardcover). Cette tarification (même si elle fut ébranlée par le passage au modèle d’agence) a été l’une des principales raisons du succès du Kindle.
Amazon a réussi à recréer la facilité d’achat du livre de poche avec son offre numérique. On achète sans se bloquer sur le prix, car on sait inconsciemment qu’il se trouve en dessous de notre seuil psychologique d’achat. Et quand bien même serait-il juste au-dessus, la simplicité du processus d’achat en “1-click” ne permet pas d’y résister (quant le bouche-à-oreille sur les réseaux sociaux n’a pas fait le travail). C’est l’achat impulsif (ou no brainer).
Cependant, le prix ne fait pas tout. Que reste-t-il au livre de poche si on lui enlève ses deux spécificités qui sont un prix de vente bas et son format réduit? Le plus petit dénominateur du livre de poche est le texte qu’il porte. Il laisse aussi à la postérité son rôle d’outil de lecture mobile, de lecture de tous les instants. En cela, les supports de lecture numérique tiennent plus que jamais ce rôle en plaçant le lecteur à quelques clics d’un ebook, sur son smartphone ou sa tablette. Avec des pratiques de lecture nouvelles, le lecteur cherche à trouver en numérique des textes concis, que cela soit des essais ou de la fiction. Quant au prix, il doit être fixé en proportion du volume de texte et de sa qualité.
Depuis quelques mois, on peut acquérir sur le Kindle Store une bonne quantité de nouvelles et d’essais à des tarifs bas, notamment aux alentours de 5 $ (cf. Mediabistro). De plus, l’arrivée des Kindle Singles a officialisé la volonté d’Amazon de promouvoir ce type de contenus pour accentuer son effort global sur les prix. Mais quelle est la valeur des Kindle Singles? Comment établir la valeur d’un ebook à 0,99 $? A ce tarif, se pose la question de l’avenir pour le texte court payant lorsqu’il est pris en tenaille entre la gratuité et un texte long de plus en plus abordable.
La notion de prix à la page n’a plus vraiment sa place, mais uniquement celle de la qualité du texte ou de son coût d’élaboration. Ce type d’évaluation du prix risque d’être la porte ouverte à une offre de contenu plus lisible ou laisser penser qu’il doit être à l’appréciation du lecteur? Le choix de Publie.net d’un prix unique, par éditeur ou par collection, est peut-être le bon. Le prix du “ticket d’entrée minimum” pour accéder à un contenu original. D’ailleurs, le livre de poche n’était-il pas le ticket d’entrée minimum pour accéder au monde des livres et des idées?