Les désastres engendrés par l’arrêt « Jabil Circuit » (Cass. soc., 26 octobre 2010, http://www.friedland.ccip.fr/2618_reglement-interieur-de-l%E2%80%99entreprise-a-vos-copies/#more-2618)) à peine réparés, que la matière disciplinaire connaît de nouveaux bouleversements.
Par un arrêt du 3 mai 2011, les juges ont annulé un licenciement disciplinaire, pourtant réalisé dans le strict respect de la réglementation alors applicable. Motif ? Les deux avertissements antérieurs que le règlement intérieur avait érigé en condition nécessaire à son prononcé n’avaient pas fait l’objet d’entretien préalable.
Faut-il en conclure que la Cour de cassation revient sur la distinction traditionnelle entre sanctions lourdes devant donner lieu à entretien et sanction légères – dont l’avertissement fait partie – ne nécessitant aucune procédure particulière ? Quelles conséquences cet arrêt emporte-il pour les entreprises ?
Petite brise
En première analyse, cet arrêt du 3 mai 2011 n’apparaît pas en lui-même comme un revirement. Tout juste peut-il être classé parmi les « petites brises » de la chambre sociale de la Cour de cassation sur l’échelle de Beaufort.
En l’espèce, l’employeur avait scrupuleusement respecté la législation et la jurisprudence alors applicables, considérant la procédure décrite dans le règlement intérieur comme une véritable garantie de fond (Cass. soc., 17 décembre 1997).
Avant d’entamer un licenciement il avait donc attendu que soient prononcés deux avertissements, lesquels n’avaient cependant pas été précédés d’entretien préalable. Ce comportement était parfaitement conforme à la jurisprudence en vigueur (Cass. soc., 19 janv. 1989), les entretiens préalables n’étant pas non plus nécessaires lorsqu’ils étaient accompagnés de la menace, en cas de récidive, d’une sanction plus lourde (Cass. crim., 13 nov. 1990).
Pour autant, les juges, visiblement très inspirés par le règlement intérieur du cas présent, ont considéré que la subordination du licenciement à l’exigence de deux sanctions antérieures impliquait que l’avertissement pouvait avoir une influence sur la carrière du salarié.
Leur logique est la suivante :
- Le principe, connu, d’abord : l’employeur n’est pas tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant un avertissement.
- L’exception, nouvelle, ensuite : il doit y avoir un entretien avant chaque avertissement si, au regard du contenu du règlement intérieur, il peut avoir une influence sur le maintien du salarié en question dans l’entreprise.
- L’illustration enfin : l’article 22 du règlement intérieur stipule que, hors faute grave, deux sanctions préalables sont nécessaires au prononcé d’un licenciement pour motif disciplinaire. Cette garantie de fond caractérise l’influence en question. L’employeur aurait donc dû respecter la procédure applicable aux sanctions lourdes et convoquer le salarié à un entretien préalable avant chaque avertissement.
Dès lors un entretien était un préalable nécessaire à chaque sanction. S’agissant d’une garantie de fond, les sanctions litigieuses sont nulles. Celles-ci étant réputées n’avoir jamais eu lieu, cela rejaillit directement sur la validité du licenciement.
Vous avez dit respect du droit applicable ? Insuffisant selon les magistrats du quai de l’horloge !
Coup de vent
La portée de cet arrêt du 3 mai 2011 ne se limite vraisemblablement pas à ce seul cas d’espèce.
En premier lieu, tous les licenciements intervenus dans des entreprises dont les règlements intérieurs conditionnent la mise en œuvre d’un licenciement disciplinaire au prononcé préalable d’une ou de plusieurs sanctions sont concernés, indépendamment de la gravité des sanctions ou des conséquences qu’elles peuvent avoir. Par conséquent, je ne saurais trop conseiller aux employeurs d’étudier religieusement leur règlement intérieur pour s’assurer des conditions de fond auxquelles les licenciements disciplinaires sont soumis.
En deuxième lieu, on peut également croire que le présent arrêt vise aussi les garanties de fond ressortant des conventions ou des accords collectifs. Le champ d’application de cette inflexion jurisprudentielle s’élargit donc d’autant, tout comme l’insécurité juridique et le risque économique qui y sont attachés.
En troisième lieu, les licenciements prononcés en contradiction avec cet arrêt sont susceptibles d’être contestées pendant 5 ans…à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce recours (article 2224 du Code civil). Concrètement : jusqu’au 4 mai 2016 !
Que faire face à ce risque élevé de contentieux ?
- Pour les licenciements à venir, il faudra bien évidemment qu’ils respectent le nouvel état du droit.
- Pour les licenciements en cours, la situation est plus préoccupante : l’intensité de la bourrasque se déplace dangereusement vers la seconde moitié de l’échelle de Beaufort. Il est évident qu’il faut considérer que les sanctions intervenues en méconnaissance de cet arrêt sont nulles, ce qui impactera la validité de nombreux licenciements en cours.
- Pour les licenciements déjà prononcés, vous aurez compris que la messe est dite… Leur conformité à l’état du droit en vigueur au moment de leur prononcé est malheureusement sans incidence sur leur validité. Ils pourront être jugés dépourvus de cause réelle et sérieuse, avec toutes les indemnités que cela implique.
Pour couper court à tout litige futur les chefs d’entreprise ont donc une solution radicale : modifier, en respectant néanmoins certaines formalités, le règlement intérieur. Au final, les salariés risquent de perdre une garantie de fond – de l’aveu même des hauts magistrats – à cause du manque de réalisme des juges.
Tempête ?
Point n’est besoin d’être un météorologue chevronné pour se rendre compte que plusieurs indices font craindre que les éléments ne se déchainent avec force.
D’une part, même si la rédaction de l’arrêt est inspirée de celle du règlement intérieur litigieux, il est flagrant qu’il revêt les formes d’un arrêt de principe. Visa du Code civil et du Code du travail et attendu de principe sont bien la preuve que la Cour de cassation accorde à cette solution une grande importance, incompatible avec un simple cas d’espèce.
D’autre part, la rédaction de l’arrêt invite à s’interroger sur l’éventualité d’un effet plus occulte, sur le mode « un train peut en cacher un autre ». En effet, il faut noter que l’arrêt du 3 mai 2011 utilise le mot « influence », bien plus souple que le vocable « incidence » employé par l’article L. 1332-2 du Code du travail. Or, la sémantique n’est jamais anodine et l’idée que l’avertissement a, par principe, une influence sur la carrière du salarié dans l’entreprise risque de faire son chemin à la chambre sociale. Ceci est d’autant plus vrai que, en pratique, un avertissement a, par définition, une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise ou sur son évolution, même si ce n’est pas immédiatement flagrant.
Dès lors, à la lumière de ces remarques, l’attendu de principe de l’arrêt du 3 mai 2011 apparaît pour ce qu’il risque de devenir : la première pierre de l’édifice d’une nouvelle jurisprudence. Dans cette hypothèse, l’avertissement, voire même les observations, devraient à terme être soumises à la procédure disciplinaire normale, caractérisée par la tenue obligatoire d’un entretien préalable. La distinction traditionnelle entre procédure disciplinaire simplifiée et procédure disciplinaire normale serait donc supprimée.
L’excès de rigidité de la législation sociale qui en résulterait, et qui pénalise déjà la croissance de nos entreprises, n’aurait alors d’égal que la quantité de contentieux qui pourrait naître en quelques jours.