LE COUPE-ONGLES
Nous étions quelquefois étendus sur le lit,
Et tu guettais l’instant où j’allais me saisir,
Du coupe-ongles posé sur la table de nuit.
Ce geste, annonçant un moment de plaisir.
Je débutais par moi, feignant l’indifférence,
En prenant tout mon temps, en te tournant le dos,
Afin que ton désir fasse une interférence,
Avec le mien et que j’en assumes l’endos.
Au début je faisais celui qui ne voit rien,
De tes préparatifs, de tes travaux d’approche,
Tu te mettais tout prés et je me sentais bien,
Faisant nonchalamment une nouvelle encoche.
Tu épiais par-dessus mon épaule impatiente,
L’instant où je dirai : je crois que j’ai fini,
Mais je faisais durer, l’attente était frustrante,
Te donnant une idée de ce qu’est l’infini.
Tu hasardais alors une main sous mon bras,
Je maugréais, ravi, mais ne le montrais pas,
Je voulais t’amener à une envie extrême,
Que tu veuilles cela, comme on veut le Saint-chrême !
Je m’asseyais, absent, sur le bord de la couche,
Tu venais t’encastrer dans mon dos et ta bouche,
M’embrassait doucement, pour me persuader,
Que tu n’en pouvais plus, qu’il ne fallait tarder.
Un dernier faux-semblant, taquin, je reposais,
L’instrument désiré, lentement, je dosais.
Alors en ronronnant, tu retendais la main,
Insistant tendrement, tandis que je grognais,
Tout en m’exécutant, sans remettre à demain,
Ce travail délicat, précis, que tu lorgnais.
D’une main, je prenais la tienne et de l’autre,
Il me fallait gratter, limer de part et d’autre,
Nettoyer et couper et dans les coins curer,
Sans trop me dépêcher, je faisais tout durer.
Pendant ce temps, ton corps se blottissait tout contre,
Le mien et les yeux clos, ta tête s’appuyait,
Sur mon dos, savourant, la suite nous le montre,
Chacun de mes travaux, ta pensée s’enfuyait.
Plus de rancœur, plus rien, durant quelques minutes,
Nous étions hors du temps, nos cœurs à l’unisson,
Il n’était pas question qu’un beau jour tu permutes,
C’était un rituel, pour nous un grand frisson.
Lorsque j’avais fini une main, déjà l’autre,
Était tendue vers moi et je recommençais,
Quand on a un plaisir, quel qu’il soit, on s’y vautre,
Le notre était commun, mais je te l’agençais !
Je savais que bientôt, il faudrait que je fasse,
Celui qui n’en peut plus et qui veut s’arrêter.
Tout en sachant très bien comment cela se passe,
Chaque fois, mais ce jeu, j’aimais bien m’y prêter.
A peine terminé, tu retirais ta main,
Et avant que je n’ai pu faire un seul geste,
Un pied avait surgi, je protestais en vain,
Tout en me régalant, il fallait que je peste !
Toi, pour m’encourager, comme pour m’inciter,
Tu te blottissais mieux et tu te faisais chatte,
Alors d’un ton bourru, afin de t’exciter,
Je disais : Maintenant, c’est au tour de la patte !
Ces moments étaient doux, je te sentais câline,
Je les faisais durer, car nous étions unis,
Je captais dans mon dos la sensation divine,
D’osmose avec ton corps, tous les deux réunis.
…
St Just ( Joël Gauthier ) Périgueux 10 juin 1987
Inspiré par Esther Hügli